LES ESPACES RURAUX ENTRE MULTIFONCTIONNALITÉ ET FRAGMENTATION – Cours

1/ UNE RECOMPOSITION DES ESPACES RURAUX

Dans tous les pays du monde on assiste à une transformation des espaces ruraux mais celle-ci prend des formes différentes selon qu’il s’agisse de pays en développement, qui sont en plein processus d’exode rural, ou bien de pays développés, qui ont terminé leur exode rural.

a) Dans les pays développés

Pendant plus d’un siècle les campagnes d’Europe, du Japon ou d’autres pays ayant connu un développement industriel précoce, se sont vidées d’une grande partie de leurs habitants.

Avec la mécanisation de l’agriculture, les activités agricoles se sont concentrées de plus en plus sur les terres les plus faciles à exploiter : prioritairement les grandes étendues planes. Cela a donné naissance aux paysages d’Openfield, typique des riches régions agricoles produisant des céréales, des oléagineux ou des plantes fourragères.

Un paysage d’openfield (ici dans le Nord de la Californie)

Dans ces régions agricoles, les densités de population sont devenues très faibles.

C’est également le cas dans les régions moins planes, où l’agriculture très mécanisée était plus difficile (voire impossible) à mettre en place. L’agriculture n’a pas toujours disparu de ces régions (qui sont souvent montagneuses ou vallonnées) mais elle se réduit aujourd’hui à de l’élevage ou des productions traditionnelles à forte valeur ajoutée telles que de la vigne ou du maraîchage biologique.

Lorsque l’agriculture a complètement disparu, on parle de déprise agricole.

L’élevage bovin dans les Alpes

Dans ces régions montagneuses, la population était autrefois plus nombreuse que dans les plaines. C’était un héritage des époques où le fait d’habiter en altitude était une protection contre les risque d’invasion. Ces régions n’étaient parfois reliées par aucune vraie route aux vallées et aux grandes villes. On dit qu’elles étaient enclavées. A partir du 19ème siècle, avec le développement du réseau routier et des voies ferrées, ces régions ont été en grande partie désenclavées, ce qui a accéléré l’exode rural.

Régions de plaines transformées en Openfield et régions de montagnes sont aujourd’hui des régions très peu habitées, que l’on peut qualifier de rural profond. Voici un exemple situé dans le département de la Haute-Vienne (près de Limoges) : 

Cela ne signifie pas, pourtant, qu’elles soient en voie de désertification ou d’abandon. Elles attirent souvent de nouvelles activités et de nouveaux habitants. Mais ceux-ci ne s’installent généralement que dans les lieux facilement accessibles, c’est-à-dire le long des grands axes de communication et pas trop loin de villes moyennes ou importantes.

François Moinet, l’auteur de ce livre, a été agriculteur puis s’est diversifié dans le tourisme. Il a publié en 1993 la première édition du Tourisme rural qui est devenue un ouvrage de référence. On voit que plusieurs des activités évoquées sur la couverture tentent de conjuguer maintient de l’activité agricole avec le tourisme.

Plus on s’éloigne de ces commodités, plus le peuplement et l’activité économique se réduisent, sauf lorsqu’il existe des ressources attractives : forêts pouvant être exploitées, mines, potentialités touristiques (rivières, lacs, paysages particuliers, possibilité d’implanter une station de ski, etc.). C’est ce que l’on a vu avec l’exemple du Center Parc de Roybon. Mais de nombreuses autres possibilités s’offrent aux habitants des régions rurales profondes pour dynamiser leur lieu de vie en attirant de nouvelles clientèles touristiques.

 

Si le rural profond tente de survivre en attirant de nouvelles activités industrielles ou touristiques, les régions rurales les plus proches des grandes agglomérations connaissant une évolution complètement différente.

Avant même le début de la révolution agricole (mécanisation, développement de l’agrochimie) ces campagnes étaient déjà les « greniers » des grandes villes, c’est-à-dire les espaces dévolus à la production d’aliments pour les villes. La Beauce (au Sud-Ouest de la région parisienne) ou la Brie (au sud-est) se sont très tôt spécialisées en régions productrices de blé, de betterave à sucre ou d’oléagineux ainsi qu’en zones de maraîchage fournissant fruits et légumes à l’agglomération parisienne.

Plus les campagnes se modernisaient, plus elles se vidaient (la main d’œuvre était remplacée par les machines et les engrais chimiques). Mais plus elles se vidaient, plus la disproportion entre le nombre d’agriculteurs et le nombre de bouches à nourrir augmentait : de moins en moins de paysans devaient réussir à nourrir de plus en plus de citadins. Il devenait nécessaire d’augmenter la productivité agricole [*]. C’est ainsi que s’est développée l’agriculture ultra-moderne que nous connaissons aujourd’hui en France ou dans les autres pays équivalents et qui apparaît depuis une cinquantaine d’années dans les pays en développement (par exemple en Inde ou au Brésil).

Depuis une trentaine d’années, un phénomène nouveau se produit dans ces campagnes proches : elles attirent de nouveau des habitants.

Le texte suivant évoque ce phénomène :

Où s’arrête la ville ? Où commence la campagne ? Difficile à dire hier; encore plus compliqué à trancher aujourd’hui. Les frontières entre ces deux ensembles s’estompent, laissant entrevoir, entre le rural profond et l’urbain aggloméré, ce que le géographe Martin Vanier nomme un « tiers espace ». « Ni rural ni urbain, le périurbain est traditionnellement défini en creux comme un débordement incontrôlé de la ville, davantage que par ses caractéristiques propres », explique Lucile Mettetal, géographe et urbaniste. Pire, ces espaces sont souvent méprisés par les urbains au motif qu’ils grignoteraient la nature et la défigureraient. […Les habitants des espaces périurbains] représentent pourtant près d’un tiers de la population hexagonale.
[…] La périurbanisation a débuté dans les années 1970 sous l’effet de deux tendances qui ont joué en sens contraire : d’une part, la concentration des emplois qualifiés (majoritairement tertiaires) dans les centres urbains, d’autre part, la volonté de nombreux ménages de s’éloigner des centres pour gagner en surface habitable et en qualité de vie. De 1999 à 2013, la part des navetteurs1 dans l’ensemble des personnes occupant un emploi est passée de 58 % à 64 %, et la proportion des trajets de moins de 10 km a diminué au profit de ceux compris entre 20 km et 50 km, indique l’Insee. Ces tendances, rendues possibles par la démocratisation de l’accès à la voiture individuelle, pèsent effectivement sur l’utilisation des terres : 73 % des espaces artificialisés entre 2006 et 2016 se situent dans des communes situées en zones foncières non tendues2. […]
Le monde périurbain constitue une véritable mosaïque.[…] « Il semble plus judicieux de parler de « campagnes urbaines » », souligne Lucile Mettetal. Cet oxymore3, utilisé pour la première fois en 1998 par le paysagiste Pierre Donadieu, et repris en 2016 dans un rapport de l’urbaniste Frédéric Bonnet sur l’aménagement des territoires ruraux et périurbains, permet en effet de briser l’opposition traditionnelle entre le rural et l’urbain, pour mettre en valeur leur complémentarité et penser des systèmes plus intégrés autour des métropoles. « Le périurbain n’est plus une simple zone d’accueil transitoire en attente d’un inévitable rattrapage urbain. C’est une véritable terre d’ancrage », conclut Lucile Mettetal.

Aude Martin, « Des frontières qui s’estompent », Alternatives économiques, 1er décembre 2018

Notes :

1-Navetteurs : travailleurs qui font la navette quotidiennement entre leur lieu d’habitation, situé en périphérie ou en dehors de l’agglomération et leur lieu de travail, situé dans la partie centrale de l’agglomération.
2-Zones dans lesquelles le coût des terrain reste modéré en raison d’une grande disponibilité de parcelles constructibles
3-Un oxymore est l’association dans une expression de plusieurs termes de sens apparemment opposé ; ici, « campagne » et « urbaine » sont a priori incompatibles car de sens opposé.

Sur cette photo en haute définition (n’hésitez pas à faire des agrandissements), on distingue les espaces périurbains autour de l’agglomération de Montélimar.

Montélimar, dans la Drôme compte 40.000 habitants, mais l’aire urbaine en compte le double. L’aire urbaine inclut non seulement les habitants de la commune de Montélimar et des communes proches qui forment sa banlieue, mais aussi les habitants des communes rurales proches. Ceux-ci sont comptabilisés dans l’aire urbaine lorsqu’au moins 40 % de leurs actifs exercent un emploi dans le pôle urbain. On peut voir au premier plan sur la photo que se mêlent des espaces commerciaux, industriels et agricoles, caractéristique typique des zones périurbaines.

La périurbanisation est un phénomène croissant dans tous les pays développés. Il est particulièrement marqué autour des métropoles comme on peut le voir avec la vidéo suivante :

Dans les zones périurbaines, les agriculteurs deviennent minoritaires avec l’arrivée d’une population jeune, plus urbaine aux modes de vie différents, ce qui ne va pas sans provoquer parfois des conflits. Par exemple, de récentes affaires judiciaires ont opposé des « néoruraux« , anciens citadins venus s’installer dans un village proche de la grande ville, aux habitants traditionnels. Les premiers se plaignaient de nuisances sonores telles que bruits de tracteurs très tôt le matin y compris les week-end, aboiements de chiens, chant du coq matinal ou cloches d’église sonnant même la nuit.

Ce dessin de Plantu paru dans l’Express en 2019 évoque un affaire de justice dans laquelle un agriculteur du Cantal a été condamné à payer 8000€, en raison d’un «trouble anormal du voisinage» causé par les odeurs de son élevage bovin. En général, toutefois, les juges donnent raisons aux villageois dans ce genre de conflits de voisinage.

Caricature du dessinateur Chappatte dans le quotidien suisse Le Temps, avril 2018

Les ruraux d’origine, quant à eux, se plaignent du fait que l’arrivée des « néoruraux » provoque une envolée des prix des terrains et des prix des commerces. En effet, les ruraux qui vivent de l’agriculture (ou les retraités de l’agriculture, qui sont nombreux) ont généralement un niveau de vie plus faible que celui des urbains (et aussi que celui des néoruraux). 

Enfin, la périurbanisation grignote de plus en plus de terrains, notamment des terres agricoles : en France, cela provoque la disparition d’une surface agricole équivalente à un département tous les dix ans.

Un lotissement périurbain dans les Yvelines

Ce rapide tour d’horizon des transformations des campagnes des pays développés a montré que ces espaces ruraux ne sont plus uniquement consacrés à l’agriculture mais qu’ils accueillent aujourd’hui de nombreuses autres activités. On peut donc parler d’espaces multifonctionnels.

L’autre observation essentielle est qu’ils subissent un phénomène de fragmentation. Celle-ci concerne d’abord les agriculteurs. Ils voient les écarts se creuser entre les grands producteurs céréaliers ou viticoles, qui exploitent des parcelles très étendues, dans des exploitations très mécanisées et qui disposent de revenus élevés, et à l’opposé les petits exploitants, qui subviennent à peine à leurs besoins et font partie des catégories sociales actives les plus défavorisées. Mais la fragmentation s’observe aussi entre les habitants traditionnels des campagnes et les nouveaux venus, ces « néoruraux » qui importent dans les village leur mode de vie urbain et rêvent de supprimer la frontière entre ville et campagne, ou plus exactement de pouvoir profiter du confort et de la modernité de la ville dans le calme et la beauté du cadre rural.

 

b) Dans les pays en développement

Dans les pays en développement, l’exode rural est en cours et la population rurale est encore nombreuse, même si cela peut varier beaucoup d’un pays à l’autre, voire d’une région à l’autre, comme on peut le voir sur la carte suivante avec l’exemple de l’Inde :

On constate qu’aucune région d’Inde n’a moins de 45% de ruraux. L’État de l’Uttarakhand, au Nord du pays, conserve un taux d’urbanisation extrêmement faible. Mais une partie croissante de cette population rurale ne vit plus de l’agriculture, signe qu’on assiste à une diversification des activités économiques dans les espaces ruraux.

Dans certaines régions d’Inde, en particulier au Nord et sur toute la bordure Ouest du pays, on observe que plus de la moitié des ruraux ne sont pas des agriculteurs. Beaucoup d’entre eux ont dû trouver de nouvelles activités pour remplacer leur ancienne activité agricole.

Comment s’explique cette évolution ?

Pour le comprendre il faut commencer par expliquer quelles transformations ont subi les espaces agricoles depuis une cinquantaine d’années.

L’Inde, mais aussi la Chine, l’Indonésie, le Vietnam et plusieurs autres pays d’Asie, ont été confrontés à partir des années 1960 à une forte croissance de leur population (la transition démographique) et un risque croissant de famine. Pour échapper à ce risque, les gouvernements de ces pays ont encouragé les paysans à moderniser leurs exploitations en réalisant des travaux d’irrigation et en s’équipant d’intrants [*] : machines, engrais chimiques, semences améliorées en laboratoires, pesticides, herbicides,  etc. Tout cela coûtant très cher, certains gouvernements ont accordé des prêts aux paysans pour qu’ils fassent ces transformations. Cette modernisation accélérée de l’agriculture est appelée la Révolution verte. D’autres pays, en Amérique latine, ont aussi connu des modernisations de leur agriculture, mais plus tard et généralement sans le soutien gouvernemental, c’est pourquoi on n’utilise pas le terme de « révolution verte » même si le résultat final est le même.

Épandage de produits phytosanitaire dans des rizières en Inde.

Ce sont généralement les régions les plus fertiles et/ou les plus peuplées qui ont mené la révolution verte la plus poussée comme on peut le voir sur la carte ci-dessous :

Le résultat a été spectaculaire, comme le montre le tableau suivant, qui concerne la situation de l’Inde. La population a été multipliée par 2,5 en 50 ans, mais la production de céréales, elle, a été multipliée par 3. On voit aussi l’explosion de la consommation d’engrais et du nombres de tracteurs (x 32 pour les uns et x 67 pour les autres). En revanche, la carte ci-dessus indique que certaines régions ont subi une forte dégradation environnementale à cause de l’irrigation excessive (qui entraîne une salinisation des sols) et à cause des produits chimiques (qui dégradent progressivement la fertilité).

La petite agriculture traditionnelle est loin d’avoir disparu dans les pays en développement. Elle reste même dominante en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, comme on peut le voir avec cette vidéo (vous pouvez-vous contenter de regarder les deux premières minutes, la suite traite d’un autre sujet):

En Asie et en Amérique latine, cette agriculture de subsistance existe encore aussi mais elle se concentre de plus en plus dans les régions les plus pauvres, sur les terres les moins fertiles ou les plus marquées par le relief, là où l’utilisation de machines agricoles est impossible, comme on le voit sur la photo ci-dessous, prise en Bolivie.

En Inde, les petits exploitants (moins de 2 hectares) représentent encore 85% du nombre total des agriculteurs mais la superficie totale qu’ils représentent n’est que de 44% de la surface agricole totale. Ce sont généralement des agriculteurs très pauvres qui pratiquent une agriculture vivrière [*] d’autosubsistance [*].

La carte ci-dessous montre la grande diversité qui persiste aujourd’hui dans les pratiques agricoles à l’échelle mondiale. Les agricultures modernes, à but commercial et utilisant massivement la mécanisation et la chimie figurent en rouge et en jaune. Ce sont les modes d’agriculture qui commencent à se diffuser actuellement dans les pays émergents (par exemple au Mato Grosso, au Brésil). En vert foncé, l’agriculture est également moderne, très mécanisée et très utilisatrice de chimie (voire d’OGM), mais les exploitations familiales restent nombreuses. Contrairement aux grandes exploitations d’Amérique du Nord, d’Europe ou du Brésil, ces agriculteurs ne cultivent pas uniquement pour la vente. Ils cultivent aussi pour leur propre consommation et ne vendent que les surplus éventuels. Une dernière forme d’agriculture commerciale peut-être assimilée à ces pratique : l’élevage extensif commercial (ici en beige). Il est très pratiqué en Amérique et en Australie.

Les zones figurant en vert clair ou en vert moyen correspondent au contraire à une agriculture traditionnelle peu productive et essentiellement vivrière. C’est cette forme d’agriculture qui recule depuis une trentaine d’année mais on voit qu’elle est encore très présente dans le monde.

La modernisation de l’agriculture n’a pas eu que des effets positifs. Certes, elle a permis aux pays d’Asie de mieux nourrir leur population, mais elle a eu des conséquences environnementales et sociales brutales : déforestation massive, appauvrissement des sols, ruine de millions d’agriculteurs chassés vers les villes. Ces effets ont été constatés dans tous les pays (développés ou non) qui ont encouragé le passage vers une agriculture très productiviste.

La vidéo suivante montre comment le Mato Grosso, région du centre du Brésil, dans la partie Sud de l’Amazonie, s’est transformée en une immense pleine consacrée à la culture du soja :

Un des effets de la modernisation de l’agriculture que les pays d’Asie et d’Amérique latine ont connu depuis une cinquantaine d’années a été que beaucoup de paysans ont perdu leur terre ou leur emploi. Parfois, c’était des paysans sans terre, qui travaillaient pour un riche propriétaire et qui ont été remplacés par des machines agricoles. Il existe ainsi des millions de paysans sans terre dans le monde. Ils sont très nombreux au Brésil ou en Inde où ils forment des mouvements de luttes qui réclament une réforme agraire [*]. En Inde, les paysans sans terre ont formé le mouvement naxalite (un mouvement marxiste inspiré des idée de Mao Zedong). Ils n’hésitent pas à prendre les armes pour faire valoir leur revendications.

Au Brésil, les grands propriétaires terriens (qui détiennent généralement le pouvoir politique en étant maires ou gouverneurs, voir ministres) ont fréquemment fait usage de la répression la plus brutale pour faire taire les revendications des paysans sans terre.

Les paysans sans terre sont aussi victimes de grandes FTN de l’agroalimentaire qui rachètent des terres pour y créer de grandes plantations (comme dans l’exemple ci-dessus).

Enfin, un phénomène nouveau se développe depuis une vingtaine d’années : le Land Grabbing, c’est-à-dire l’achat ou la location de terre agricole par des pays étrangers. La Chine ou l’Arabie saoudite, qui manquent de terre agricoles, louent ainsi des millions d’hectares de terres agricoles à des pays d’Afrique. Ce sont autant de terres disponibles en moins pour les paysans pauvres. Les pays de la ceinture équatoriale (Brésil, Congo, Indonésie) louent des millions d’hectares de forêt qui sont déboisés pour y cultiver à la place :

Le phénomène du Land Grabbing inquiète de plus en plus les spécialiste du développement. Le film ci-dessous a été financé par des ONG pour alerter sur cette situation :

Parmi les paysans qui avaient réussi à garder une terre agricole, beaucoup se sont retrouvés ruinés par la modernisation car leur exploitation était trop petite pour résister à la concurrence des gros exploitants. Ces derniers réussissaient à augmenter leur productivité grâce aux engrais chimiques, aux semences hybrides, aux OGM ou aux machines.

Enfin, il y a ceux qui ont tenté de moderniser leur agriculture en achetant à crédit des machines, des engrais ou des semences, mais qui ont fini par être étranglés par les dettes ou dont les terres, trop fragiles, n’ont pas résisté à l’usage intensif de l’irrigation ou de la chimie et sont devenues stériles, comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessous :

Le texte suivant évoque la situation de nombreux paysans indiens :

«Shankara s’est suicidé. […] On lui avait promis des récoltes et des rentrées d’argent incroyables, s’il passait de la culture de semences traditionnelles aux OGM. Séduit par ces promesses, il a emprunté l’argent afin d’acheter des semences transgéniques. Mais les récoltes ne furent pas au rendez-vous et il se retrouva dans la spirale de l’endettement et sans revenu. Village après village, des familles se sont endettées. La différence de prix est vertigineuse: 15 euros pour 100 g de semences OGM, par rapport à moins de 15 euros pour 100 kg de semences traditionnelles. Mais les vendeurs ainsi que les représentants du gouvernement avaient promis aux paysans qu’il s’agissait de « semences magiques » avec de meilleures plantes, sans parasites ni insectes. La surface indienne plantée en OGM a doublé mais les semences ont été infestées par le ver de la capsule, un parasite vorace. Dans le passé, lorsqu’une récolte était mauvaise, les paysans pouvaient toujours conserver des graines et les replanter l’année suivante. Cela n’est pas possible avec les OGM qui ont été modifiés génétiquement afin que la plante ne puisse plus produire de semences viables.»

D’après C. Berdot (trad. d’un article d’Andrew Malone, Daily Mail, 3 novembre 2008), «Inde: des milliers de cultivateurs se suicident, ruinés par les OGM», amisdelaterre.org.

Le dessinateur Plantu a aussi illustré cette problématique sur le dessin suivant :

Beaucoup de paysans dépossédés de leur fonction d’agriculteur sont condamnés à rejoindre les victimes de l’exode rurale et à aller s’entasser dans les bidonvilles des grandes métropoles, ou alors ils doivent se recycler dans d’autres activités. Le plus souvent il s’agit d’activités d’artisanat ou de petite industrie, comme cette famille qui s’est lancée dans la fabrication de briques. 

Dans cet exemple, situé  la lisière de la ville géante de Kolkata, les ex-paysans tirent profit de l’urbanisation en fournissant des matériaux qui vont être utiles à l’édification des nouvelles habitations.

Certains se tournent vers l’artisanat comme cette famille du Tamil Nadu, dans le sud de l’Inde, qui a créé une petite entreprise de tissage :

L’activité touristique se développe aussi dans les campagnes des pays émergents. L’Inde en est un bon exemple, comme on peut le voir à travers le texte suivant :

Complexe touristique dans la région du Wayanad (Sud-Ouest de l’Inde)

En 2015, le nombre de touristes indiens au Kerala s’élevait à près de 12,5 millions, avec une augmentation de 6,6 % par rapport à 2014 […]. Dans ce contexte d’augmentation des mobilités internes dans un but de récréation, les montagnes, et en particulier leurs parcs naturels, attirent de plus en plus de visiteurs. […] Le paysage de Wayanad se transforme pour satisfaire cette nouvelle activité économique qu’est l’accueil des touristes. Les touristes qui s’y rendent [sont] issus de la nouvelle bourgeoisie urbaine […]. Les rizières et plantations commerciales, désormais non rentables, sont progressivement abandonnées, soit pour construire des résidences de tourisme, soit, pendant un temps, au profit d’une agriculture spéculative (gingembre). La forêt et sa faune, autrefois obstacles au développement, sont devenues commercialisables grâce au tourisme […]. En saison, des embouteillages se forment désormais dans le bourg principal, où les hôtels se sont multipliés et une dizaine de Jeep promènent les touristes. Certains estates, dotés de sites internet proposant de multiples activités, attirent désormais une clientèle internationale dont le nombre ne cesse d’augmenter.

Lucie Dejouhanet, Revue de géographie alpine, 2017

 

Ainsi, on constate que les transformations agricoles et l’exode rural ont entraîné une diversification croissante des espaces ruraux, mais surtout qu’ils sont à l’origine d’une fragmentation importante des pratiques agricoles et des sociétés. Les inégalités croissantes et l’appropriation des espaces les plus productifs par une minorité sont sources de conflits dans de nombreux pays en développement.