L’ÉVOLUTION DE L’ÉTAT EN FRANCE ET EN ANGLETERRE DU XVIIème A LA FIN DU XVIIIème SIÈCLE (1)

INTRODUCTION

En France et en Angleterre se sont développés assez tôt des États puissants de type monarchique. Dans les deux pays, les rois ont réussi à imposer un pouvoir de plus en plus fort sur un vaste territoire et à soumettre la noblesse à leur autorité. C’est ce qu’on appelle la monarchie absolue. Celle-ci a mis plusieurs siècle à s’imposer face au système féodal. C’est un système politique qui reste fragile. Une partie de la noblesse continue à rêver de retrouver le grand pouvoir dont elle disposait jusqu’au Moyen âge. Face à cette contestation, la couronne d’Angleterre va céder au cours du XVIIème siècle. Une révolution oblige la monarchie à accepter une nouvelle répartition du pouvoir. C’est la fin de la Monarchie absolue. En France, au contraire, les rois réussissent à maintenir l’absolutisme jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. Le bras de fer entre la Monarchie et la Noblesse se poursuit, mais ce sont les transformations de la société (début de l’industrialisation, mouvement philosophique des Lumières) qui vont fragiliser l’État et amener la Révolution, en 1789.

Comment la monarchie absolue s’est-elle imposée et comment a-t-elle évolué en France et en Angleterre du XVIIème au XVIIIème siècle ?

 

1/ LA MONARCHIE ABSOLUE EN FRANCE

a) Un monarque de droit divin

Henri IV s’appuyant sur la Religion pour donner la Paix à la France (anonyme du début du 17ème siècle)

Le tableau ci-dessus montre le roi Henri IV (1589-1610) dans une scène allégorique. Il tend une branche d’olivier à la France, représentée par la femme de gauche. La branche d’olivier est le symbole de paix. Ce geste est censé rappeler qu’Henri IV a mis fin aux guerres de religion qui déchiraient la France. La main gauche du roi s’appuie sur la religion, symbolisée par la femme située à droite du tableau [*].

Henri IV était protestant lorsqu’il a accédé au trône en 1589. Il dût alors se convertir au catholicisme afin de pouvoir entrer dans Paris et de pouvoir être sacré, quelques jours plus tard à Chartres. Mais c’est en promulguant l’Édit de Nantes, en 1598, qu’il mit vraiment fin aux guerres de religion. Cet édit instaurait la tolérance religieuse. La religion catholique restait la religion officielle du royaume, mais les protestants cessaient d’être persécutés.

Sur le tableau, on peut observer de nombreux symboles. Le roi est habillé en guerrier romain, mais ses armes sont maintenant emportées par un groupe d’angelots, signe que la guerre est terminée. Le bouclier doré (en haut) montre Minerve, déesse de la guerre et de la victoire mais aussi de la raison, de la sagesse et de la prudence. Cela signifie que le roi a imposé la paix au royaume autant par sa bravoure que par sa ruse.

Avec François Premier (qui avait régné 60 ans plus tôt, de 1515 à 1547) Henri IV est considéré comme l’un des grands souverains qui ont renforcé le pouvoir royal et imposé la monarchie absolue en France. Ce tableau illustre en particulier la relation qui existe entre le roi et la religion. Pour devenir vraiment roi, Henri IV a dû se soumettre en abandonnant sa foi protestante et en se convertissant. Mais c’est par la volonté de Dieu qu’il est roi, comme le signifie le sacre.

Le sacre de Louis XV, tableau de Pierre Subleyras, 1722. Le roi est âgé de 5 ans lorsqu’il accède au trône mais il reçoit le sacre à 12 ans. Le personnage à droite, qui tient l’épée, est un pair de France, qui joue le rôle du roi défunt, Louis XIV. Il est là pour symboliser la transmission du pouvoir. Louis XV est l’arrière petit-fil de Louis XIV. Dans le système monarchique français, le successeur du roi est son héritier mâle le plus proche : fils aîné (ou cadet si l’aîné ne peut régner), son frère (au cas où il n’a pas de fils), son cousin, etc. Aucune femme ne peut monter sur le trône, contrairement à l’Angleterre. Louis XIV a régné si longtemps (de 1643 à 1715) que ses enfants et ses petits-enfants sont morts avant lui.

 

Cette idée que le roi est un personnage sacré se renforce progressivement au cours du XVIIème siècle. Des penseurs comme Jean Bodin et Bossuet développent la théorie selon laquelle le roi n’est pas simplement sur le trône par la volonté de Dieu, mais qu’il est le « lieutenant de Dieu sur terre », c’est-à-dire que la volonté de Dieu s’exprime à travers les décisions du roi, comme on peut le voir dans le texte suivant :

« 1ère Proposition : L’autorité royale est sacrée. Dieu établit les rois comme ses ministres et règne par eux sur les peuples. (…) Les princes agissent comme ministres de Dieu, et ses lieutenants sur la terre. (…) le trône royal n’est pas le trône d’un homme, mais le trône de Dieu même. (…)

2ème Proposition : Il paraît de tout cela que la personne des rois est sacrée et qu’attenter contre eux c’est un sacrilège. (…)

3ème Proposition : On doit obéir au prince par principe de religion et de conscience. (…) Saint Pierre dit :« Soyez donc soumis pour l’amour de Dieu à l’ordre qui est établi parmi les hommes (…) Obéissez à vos maîtres, non seulement à ceux qui sont bons et modérés, mais encore à ceux qui sont fâcheux et injustes. » »

Bossuet, Politique tirée des propres paroles de l’Ecriture sainte , Livre III (1677-1709)

La propagande qui présentait le roi comme le « Lieutenant de Dieu sur terre » était abondamment diffusée par l’Église, en particulier lors des sermons des prêtres à l’occasion de la messe. Il s’agissait d’obtenir l’obéissance et la soumission du peuple.

Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l’hiver de 1788 (tableau de Louis Hersent, 1818). Aucun des paysans n’ose regarder le roi. Tous baissent les yeux devant lui, signe de leur profond respect pour sa personne. Ils le considèrent réellement comme un être divin.

 

b) « Le roi gouverne par lui-même »

  • Une noblesse soumise

La propagande du roi divin était moins efficace sur les nobles, qui continuaient à penser que le roi n’était rien d’autre que le « suzerain de tous les suzerains », c’est-à-dire un noble se trouvant au sommet de la pyramide féodale. Pendant tout le Moyen âge, le roi avait dû partager son pouvoir avec la noblesse ainsi qu’avec des représentants des trois ordres, qui se réunissaient régulièrement dans des assemblées nommées « États généraux ». Lors de ces assemblées, ils pouvaient faire savoir au roi les problèmes du pays et exprimer des revendications. La noblesse y jouait un rôle important en contestant souvent les décisions royales.

Pour domestiquer cette noblesse, les rois de France ont dû manier la carotte et le bâton pendant plusieurs siècles. Ils ont progressivement retirés aux nobles une grande partie de leurs anciens pouvoirs, tels que le droit de posséder leur propre armée, d’émettre leur propre monnaie ou de rendre la justice sur leurs terres [*]. En échange de ces renoncements, les nobles ont obtenus un certain nombre d’avantages comme le droit de prélever des impôts sur leurs terres, le fait de ne pas payer eux-même d’impôts (ou très peu), le droit exclusif d’accéder à un certain nombre de métiers (notamment tous les postes d’officiers de l’armée ou de l’administration), ou encore le droit de porter l’épée. C’est ce qu’on appelle les privilèges.

En outre, le roi récompensait les nobles les plus fidèles et les plus obéissants en les nommant à des fonctions importantes (par exemple ministres), en leur accordant des terres, les « fiefs », ou des pensions. Les pensions étaient des rémunérations qu’un noble recevait jusqu’à sa mort, et parfois même de manière héréditaire, en échange de service rendu.

Institution de l’ordre militaire de Saint-Louis (tableau de François Marot, vers 1695). Pour récompenser les nobles qui ont rendu service au Royaume (c’est-à-dire ceux qui ont servi 10 ans dans l’armée royale) Louis XIV les récompense en leur attribuant, à partir de 1693, la médaille de l’Ordre de Saint-Louis (celle-ci s’accompagne d’une pension annuelle à vie).

Voici comment l’ambassadeur de Venise décrit la manière dont le roi gouverne la France au 16ème siècle :

« Habitués depuis si longtemps à être gouvernés par leurs rois, les Français ne désirent pas d’autre gouvernement; ils savent que leur condition est d’obéir et de servir leur roi, et ils servent volontiers celui qui est né exprès pour les commander. […] Le roi est le distributeur d’un nombre infini de places, de dignités, de charges, de biens ecclésiastiques, d’appointements et de présents et d’autres émoluments et honneurs dont ce pays abonde plus que tout autre. Le roi étant aimé et servi de la sorte, il a sur tout son royaume une entière et suprême autorité : tout dépend de lui seul, la paix et la guerre, les impôts, le gouvernement et l’administration de tout le royaume. Bref, le roi est le maître absolu : nul conseil, nul magistrat ne peut limiter son pouvoir; nul prince, nul seigneur n’oserait lui résister, ainsi qu’il arrive en d’autres pays. […]

Pour contrôler encore mieux la noblesse, Louis XIV installe sa cour à Versailles. Jusque là, il n’y avait pas de lieu de pouvoir permanent. Selon la saison, la mode ou l’humeur du roi, la cour se déplaçait d’un château à un autre. Le roi s’établit à partir de 1682 dans cet immense palais construit entre 1660 et 1711. Il y accueille jusqu’à 10.000 courtisans [*] dont plusieurs centaines sont logés dans de petits appartements dans le château lui-même (tandis que les autres louent des maisons dans la ville de Versailles). Ces courtisans rivalisent pour attirer l’attention du roi et pour pouvoir l’approcher. Il y a divers moyen d’attirer son attention : en produisant une invention ou une œuvre d’art qui plait au roi (comme les pièces de Molière ou de Racine), en accomplissant un exploit militaire, en étant l’objet d’une rumeur positive véhiculée au moyen du bouche à oreille, en faisant preuve d’une élégance vestimentaire extrême, etc. Les plus chanceux pourront alors avoir le plaisir d’être invité au lever du roi (la cérémonie au cours de laquelle il se réveille et prend son petit-déjeuner), à la promenade du roi, au repas du roi, au coucher du roi, etc.

Promenade de Louis XIV dans les jardins de Versailles, entourés de courtisans (tableau d’Etienne Allegrain, 1688 [détail])

Le fait de devenir un proche du roi présentait un double avantage : d’une part, les courtisans les plus appréciés recevaient des récompenses sous la forme de pensions royales ou de nominations à des postes importants, d’autre part ils pouvaient ensuite imposer leur supériorité sur le reste de la noblesse en faisant valoir leur proximité avec le roi.

L’extrait de film ci-dessous montre un groupe de nobles qui attendent de savoir s’ils ont été choisis par le roi Louis XVI [*].

VIDEO : Le roi choisit des courtisans (extrait du film « Ridicule », de Patrice Leconte [1996])

L’entretien de ces milliers de nobles oisifs, ainsi que les spectacles qui étaient organisés régulièrement au palais pour divertir le roi et sa cour représentaient un budget colossal, de près de 10% du budget total de l’État. Mais c’était une dépense utile pour consolider le pouvoir du roi en renforçant son contrôle sur la noblesse.

  • Le gouvernement royal

Sur la fresque ci-dessous (l’une des 27 qui ornent le plafond de la galerie des Glaces à Versailles), on peut observer une scène que le peintre a intitulée : « Le roi gouverne par lui-même »:

Le roi gouverne par lui-même (Charles le Brun, 1661) [détail]

Parmi une profusion de symboles (comme les principales divinités romaines, en haut, qui observent la scène avec bienveillance, ou les enfants, en bas, qui symbolisent le peuple), on peut noter le roi Louis XIV, au centre (n°1), qui pose la main sur un timon. Le timon est une partie du gouvernail d’un navire. Il faut donc comprendre que le roi est comme un capitaine de navire, il est le seul maître à bord du grand vaisseau de l’État. L’allégorie de la France (n°2) tient la branche d’olivier dans sa main gauche. L’allégorie de la Seine (n°4), distribue fruits et fleurs (symbole de la prospérité). Minerve (n°3), déesse de la sagesse (mais aussi de la guerre, comme on l’a dit plus haut) semble guider le jeune roi et lui montre la gloire qui l’attend (symbolisée par la femme, en haut, qui tient la couronne). Si les rois précédents étaient déjà des hommes autoritaires, à partir de Louis XIV, le pouvoir royal va encore se renforcer et la façon de gouverner la pays va évoluer. La vidéo suivante présente de manière claire et succincte les grandes lignes du règne de Louis XIV et de son rapport au pouvoir :

VIDÉO : (si la lecture ne se lance pas, cliquer sur le mot « vidéo » pour la lancer dans une nouvelle page)

En réalité, le roi ne gouverne pas seul. Pour administrer un État qui compte environ 20 millions d’habitants en 1650 et qui est le plus vaste d’Europe, il a besoin d’un gouvernement et d’une administration. Louis XIV, alors âgé de 23 ans, décide à partir de 1661 de ne plus laisser les affaires gouvernementale à son premier ministre. Jusque là, il a laissé son Premier Ministre Mazarin gouverner à sa place, s’intéressant davantage à la danse ou à la chasse qu’aux affaires publiques. Sous Louis XIII aussi, les affaires étaient dirigées par un ministre tout puissant nommé Richelieu. Désormais, le roi prend les décisions lui-même, en s’appuyant sur l’avis de son Conseil.

L’organisation du gouvernement royal (en vert et en bleu les Ministres et secrétaires d’État

Le Conseil du roi est une assemblée d’environ 130 personnes chargées de l’informer et de lui fournir des dossiers sur toute sortes de sujets. Le roi réunit ensuite ses ministres (au nombre de cinq ou six) et ses conseillers d’État (une quinzaine) dans des Conseils de gouvernement qui ont lieu tous les lundi. Les principaux ministres sont le Chancelier (ministre de la Justice) et le Contrôleur général des finances (ministre de l’économie et des finances). Le roi écoute attentivement les rapports qui lui sont communiqués et les suggestions qui lui sont faites. A la fin il tranche et impose sa décision en prononçant la formule rituelle : « Car tel est notre plaisir ». Le plus souvent sa décision respecte l’opinion majoritaire au conseil car il a une grande confiance dans ses ministres, qui sont des hommes d’une très grande compétence et d’un très grand dévouement. De 1661 à 1715, Louis XIV ne s’est opposé que six fois à l’avis du Conseil de gouvernement.

Sur ce tableau anonyme de la fin du XVIIème siècle qui se trouve à Versailles, on peut voir Louis XIV à la fin d’un Conseil de gouvernement, entouré par des conseillers d’État. Des huissiers, à droite de l’image, sont en train d’apposer le sceau royal sur les décrets qui viennent d’être pris.

 

c) L’administration, les impôts et la guerre au service du renforcement de l’État

  • L’administration

La première page de l’ordonnance de Villers-Cotterêt

C’est François Premier qui est le vrai fondateur de l’administration moderne centralisée, grâce à l’ordonnance de Villers-Cotterêt. Ce texte majeur édicté en 1539 unifie les règles administratives et crée ce qui deviendra l’état civil c’est-à-dire le décompte précis des habitants du royaume. Pour cela, l’ordonnance exige des curés de chaque paroisse qu’ils procèdent à l’enregistrement par écrit des baptêmes, autrement dit des naissances [*]. L’ordonnance impose également que tous les actes légaux et notariés soient désormais rédigés en français et non plus en latin. C’est l’article 111 qui énonce ce principe de la manière suivante :

« Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l’intelligence des mots latins contenus dans lesdits arrêts, nous voulons dorénavant que tous arrêts, ensemble toutes autres procédures, soit de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soit de registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques actes et exploits de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties, en langage maternel et non autrement ».

 

 

 

Il ne s’agit pas seulement de rendre les texte juridiques accessibles à un plus grands nombre de personnes, mais aussi d’unifier la langue française, qui n’est parlée à cette époque que par 15% des habitants du royaume, comme le montre la carte des principaux dialectes et patois (ci-dessous). Les « langues » sont indiqués en majuscules (Breton, Alsacien, etc.) ; les « patois » en minuscules. Les régions jaunes parlent le français mais avec un fort accent et de nombreux termes de patois qui faisaient qu’il ne pouvait être compris d’un Parisien.

Pour unifier le territoire, les rois essayent d’améliorer le réseau routier et de renforcer les moyens de communication en établissant des relais de poste le long des routes. Ce sont des sortes d’auberges, situées à intervalle de quelques dizaines de kilomètres, où les messagers peuvent échanger leurs chevaux fatigués contre des chevaux frais afin de pouvoir toujours galoper à vitesse maximale et de gagner du temps sur le trajet. Le mot « poste », que l’on utilise aujourd’hui pour le courrier vient de ces « relais de poste ». Les grandes routes royales (dont nos actuelles routes nationales et autoroutes suivent encore aujourd’hui le tracé) sont créées au 18ème siècle surtout pour améliorer les échanges commerciaux.

Construction d’une route royale (tableau Claude-Joseph Vernet, 1774). Ces travaux étaient réalisés par des paysans dans le cadre de la Corvée royale, un impôt qu’il payaient sous la forme de trois semaines par an de travail gratuit. Voici comment Louis Simon, un paysan du Haut-Maine, décrit ce travail : « J’ai vu aligner la grande route reliant Le Mans à La Flèche à travers les champs, les prés et les landes. Ce fut le peuple qui fit cette route, à la corvée. Les fermiers charroyaient les pierres, et les autres les cassaient et les tiraient de la terre puis les plaçaient sur la route. Elle a été commencée en 1750. Cela ruina le peuple. La route n’a été finie ici que dix ans après son commencement. Ceux qui manquaient à leur corvée aux mois de mars et d’avril de chaque année, on les mettaient en prison à leurs frais et dépends. Ce sont les grandes routes qui ont facilité le commerce et nous ont procuré les marchandises étrangères. Avant que la grande route fut faite, il n’y avait aucun voiturier ici, que les fermiers. On ne voyait à la campagne ni chevaux, ni charrette. »

Malgré ces travaux, les temps de parcours sur le territoire restent très longs puisqu’à la fin du 18ème siècle il faut encore 8 à 12 jour pour atteindre Bordeaux, Toulouse ou Marseille depuis Paris, selon le type d’attelage ou de carrosse que l’on utilise.

Le contrôle administratif du territoire par le pouvoir royal se fait par l’intermédiaire de divers représentants du roi. Les décisions prises lors du Conseil de gouvernement sont transmises à des Commissaires et des Intendants qui devront en surveiller la bonne application.

Les intendants sont les hommes les plus puissants dans les provinces du royaume. Ils sont en quelque sorte les ancêtres des préfets d’aujourd’hui. On les considère comme « l’œil et le bras du roi dans les provinces » car ils sont chargé de surveiller ce qui se passe (d’où l’expression « l’œil du roi »), d’en informer directement le Conseil du roi et d’appliquer les décisions royales (« le bras du roi »). Chaque Intendant (ils sont au nombre de 33) s’occupe d’une circonscription appelée généralité (l’ancêtre de nos régions ou de nos départements). Il a sous ses ordre des subdélégués chargés d’une portion de territoire appelée « subdélégation ».

 

Malgré les efforts d’unification administrative, cette carte montre que la France reste assez divisée jusqu’au 18ème siècle. Les régions incorporée plus récemment dans le territoire français par conquête ou par traité (comme la Bretagne) bénéficient d’un statut différent et d’une autonomie supérieure par rapport aux régions qui sont françaises depuis plus longtemps.

 

Pour administrer la France, en plus des quelques centaines d’Intendants et de subdélégués nommés sur décision du roi s’ajoutent plusieurs milliers d’officiers de l’administration ainsi que des dizaines de milliers d’agents de l’État. Le nombre de ces derniers explose à cette époque : il est multiplié par dix entre le règne de François Premier et celui de Louis XV.

Les officiers administratifs sont des gens qui ont acheté le droit d’exercer une certaine fonction dans la justice, la finance ou la police. En échange d’une forte somme, ils pourront exercer cette « charge » toute leur vie et pourront même la transmettre à leur héritier (moyennant un paiement supplémentaire). Les charges les plus recherchées sont celles de Parlementaire et de « Fermier général ». Le fermier général était la personne chargée de collecter les impôts et il s’agissait d’une des charges les mieux rémunérées.

La vente de ces offices ou de ces charges était une opération intéressante pour l’État (en tout cas à court ou moyen terme) : au moment où la charge était vendue, l’État percevait une grosse somme d’argent. Une charge de Juge au Parlement de Paris pouvait coûter jusqu’à 500.000 livres. Ensuite, le Juge qui avait acheté cette charge percevait une rémunération de quelques milliers de livres par an. Même en exerçant cette charge pendant trente ans il n’aurait pas rentabilisé l’investissement. En revanche, l’achat de cette charge lui octroyait un titre de noblesse. C’est pourquoi les bourgeois les plus riches étaient prêts à dépenser les économies de toute une vie pour devenir juge : cela leur permettait d’acquérir la noblesse. On appelait les nobles ayant acquis leur titre de cette manière « la noblesse de robe », car c’est en endossant la robe (de juge) qu’ils étaient devenus nobles.Quant aux charges d’officiers qui conféraient la noblesse à celui qui les achetait, on les appelait les « charges anoblissantes ». Elles étaient bien évidemment les plus chères.

Portrait de deux nobles de robe, le présidents du parlement de Provence, Cardin Le Bret et son fils, juge au Parlement (Tableau de Hyacinthe Rigaud en 1697)

 

  • Les impôts et la guerre

En établissant l’état civil par l’Ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, l’intention de François Premier était de connaître plus précisément le nombre d’habitant du royaume, leur âge et leur répartition sur le territoire. Cela permettait de mieux estimer les recettes fiscales, c’est-à-dire les sommes qui pourraient être prélevées sous forme d’impôts. Cela permettait aussi de mieux savoir de combien d’homme ont pouvait disposer pour l’armée. En effet, à partir de son règne les guerres se multiplient et vident les caisses de l’État.

De François Premier à Louis XIII, la France est presque continuellement en guerre, mais ce sont les guerres menées par les trois rois suivants (Louis XIV, XV et XVI) qui vont être les plus coûteuses.

Une partie de ces guerres a pour but d’étendre le territoire français ou bien de simplifier les frontières afin qu’elles soient plus faciles à défendre. En effet, pendant longtemps les zones frontalières étaient constituées d’enclaves étrangères en territoire français ou, à l’inverse, d’enclaves françaises en territoire étranger. C’était particulièrement le cas sur les frontières du Nord (voir la carte ci-dessous), où Louis XIII et Louis XIV ont mené plusieurs guerre pour « faire leur pré carré », c’est-à-dire définir des frontières plus rectilignes. A l’Est ou au Sud, l’objectif était d’atteindre des barrières naturelles plus facilement défendables, comme le Rhin ou les Pyrénées. C’est ce qu’on a appelé les « frontière naturelles » (bien qu’il ait fallu de nombreuses guerres pour les fixer à cet endroit).

D’autres territoires ont été acquis par des Traités ou des alliances matrimoniales (comme la Bretagne).

Pour sécuriser les frontières, le roi ordonne de faire construire de très nombreuses forteresses et charge l’ingénieur Vauban de réaliser cette « ceinture de fer » qui doit protéger la France. On peut voir sur la carte ci-dessus les principales fortifications édifiées par Vauban. Louis XIV veut aussi que la France puisse rivaliser avec les puissances navales que sont la Hollande (qui s’appelle alors les Provinces Unies) et l’Angleterre. Il ordonne la construction d’une flotte de guerre gigantesque qui va faire disparaître une bonne partie des forêts du pays (il fallait plus de 10.000 arbres pour construire chaque bateau dont 2500 chênes centenaires). Cela permet à la France de devenir la première puissance navale d’Europe.

La citadelle de Besançon, l’une des cent (et quelques) places-fortes réalisées par Vauban… et l’une des plus spectaculaires. Elle a été achevée en 1683

Enfin, les effectifs de l’armée augmentent. Les officiers sont tous des nobles qui ont acheté leur charge. Une bonne partie des soldats sont des mercenaires, c’est-à-dire des engagés volontaires qui servent dans l’armée en vertu d’un contrat temporaire (et dont un bon nombre ne sont même pas Français). Mais à partir des années 1680, cela ne suffit plus. En 1688, la décision est prise d’imposer un recrutement à la population. Chaque village devra fournir un nombre déterminé de soldats, soit de son plein-gré, soit par tirage au sort, afin de constituer ce qu’on appelle la milice.

Le recrutement de la milice par tirage au sort, ici dans la paroisse d’Authon, près de Dourdan. Il s’effectue en présence du subdélégué de l’intendant d’Orléans. (Dessin anonyme de 1708) Les jeunes du villages sont assemblés au centre de la place et doivent tirer un bulletin dans un chapeau.

Toutes ces dépenses militaires représentent la plus grande partie du budget de l’État et ne font qu’augmenter entre le XVIème et le XVIIIème siècle. A partir de1550, le budget de l’Etat est presque tout le temps en déficit. Il n’atteint l’équilibre qu’une année au  cours du XVIIème siècle (en 1665) et durant une décennie entre 1740 et 1750 (comme on peut le constater sur le graphique de la page 161 du manuel).

Pour financer ces guerres, les rois créent régulièrement de nouveaux impôts. Normalement, ce sont des impôts provisoires, qui doivent disparaître une fois que la guerre sera terminée. En effet, bien que le régime se présente comme une monarchie absolue, le roi n’a pas réellement tous les pouvoir. Il a besoin de l’accord des représentants de la Nation pour créer de nouveaux impôts, sauf si ceux-ci ne sont que temporaires. En réalité, bien souvent les impôts temporaires finissent par devenir permanents, comme ce fut le cas pour l’impôts du « dixième » ou pour celui de la capitation.

Le dixième est un impôt exceptionnel qui prélève le dixième des revenus de toute propriété. Les personnes non propriétaires (exploitants agricoles, manouvriers ou autres salariés) ne sont pas imposées. Il est créé en 1710 afin de financer la Guerre de succession d’Espagne puis supprimé en 1717. En 1749 il est remis en place sous le nom de « vingtième » (ce qui signifie que le prélèvement ne sera que de 5% des revenus au lieu de 10% avec l’ancienne version). Le Vingtième touche l’ensemble de la population (y compris le tiers-état et les nobles). Contrairement au dixième, ce nouvel impôt est créé en période de paix et devient donc définitif. Il sert à rembourser les dettes de l’État.
Le clergé et les provinces émettent de vives protestations et attisent des émeutes. En 1751, Louis XV en exempte [*] l’Église catholique de peur que, par leur influence, les prêtres ne provoquent un soulèvement de la population.
Avec le début de la guerre de sept ans (1756-1763), un deuxième vingtième est mis en place en 1756 (c’est le « double vingtième »). La guerre continuant, un troisième vingtième est mis en place en 1760 (« triple vingtième »). La guerre finie, ce dernier vingtième est supprimé, les deux autres subsistent.

 

Un bureau de perception des impôts en 1695 pour le paiement de la capitation (ou taxe par tête). Gravure coloriée de Nicolas Arnoult

 

La capitation, quant à elle, est un impôt direct personnel mis en place en 1695 pour financer les dépenses de la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Il devait être temporaire. Il touche l’ensemble des Français, y compris les privilégiés. Toutefois le clergé en obtient l’exemption définitive en échange du versement d’une somme forfaitaire de 24 millions de livres (soit environ ce qu’il aurait payé en six années).
La population est répartie en 22 classes basées sur une approximation du niveau de richesse. La première classe paye 2000 livres ; la dernière classe 20 sous (c’est-à-dire presque une livre). La première classe comprend le dauphin, les princes du sang, les ministres et les fermiers généraux. La seizième classe comprend les proviseurs et principaux de collège, les huissiers, les marchands de blé, de vin et de bois. La dernière classe (la 22ème) est formée par les journaliers agricoles, les manœuvres et les soldats. Les pauvres qui paient moins de 40 sous de taille sont exemptés de la capitation.
La Capitation est supprimée à la suite du traité de paix de 1697. En 1702, la guerre de Succession d’Espagne amène le retour de la capitation, mais cette fois, les nobles obtiennent des réductions (ils ne payent plus que le 1/90ème de leur revenu alors que c’est environ 1/11ème pour les membres du tiers état). Cette deuxième capitation devait disparaître à la fin de la guerre, mais elle fut maintenue jusqu’en 1789. Elle connut des augmentations en 1705 et 1747. En 1789 la capitation rapportait à l’État plus de 41 millions de livres.

Un autre impôt particulièrement détesté était la gabelle, qui portait sur le sel. Le sel était une marchandise précieuse et indispensable à l’époque car c’était le seul moyen de conserver des aliments. On devait l’acheter par tonneaux ou gros sacs de trente kilos. L’État prélevait une taxe sur le sel, sauf dans les régions maritime, où n’importe qui pouvait s’en procurer facilement. La police faisait aussi la chasse aux contrebandiers, qui étaient nombreux. Pour éviter le marché noir (c’est-à-dire les transactions illégales), le sel devait être acheté dans les greniers à sel de l’État.

Grenier à Sel (tableau Anonyme du XVIIIe siècle)

 

Le mode de perception des impôts renforçait la colère des Français car il était très injuste. Par exemple, pour certains impôts, le fermier général (l’officier percepteur) fixait une somme forfaitaire par village en fonction d’une estimation d’une nombre de foyers. C’était aux villageois de se mettre d’accord sur qui payerait quoi, du moment que la somme réclamée soit acquittée. De plus, les fermiers généraux prenaient un bénéfice sur les versements des contribuables. Par exemple, si le roi avait réclamé 41 millions de livres pour la capitation le fermier général était libre d’en faire payer 42 ou 43 millions au peuple et d’empocher la différence. Certains n’hésitaient pas emprisonner les paysans récalcitrant pour que tout le monde paye. En revanche, les années de mauvaise récolte, si le fermier général ne parvenait pas à récupérer les 41 millions exigés par le roi, il devait quand même verser cette somme au roi en payant la différence de sa propre poche.

La contestation fiscale va être l’un des sujets de tension les plus importants des 17ème et 18ème siècle et contribuer à de nombreux soulèvements, y compris la Révolution américaine de 1776 et la Révolution française de 1789.

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