The Clash est le seul groupe issu de la vague punk à avoir su transcender le genre et produire une musique accessible à tous sans pour autant renier son engagement politique et sa rébellion.
Si des groupes comme les Damned ou The Police ont su échapper au ghetto musical du Punk Rock, cela s’est fait au prix d’un abandon des préoccupations sociales et de l’esprit de provocation, encore que ce dernier, très éphémère chez Police, n’a jamais revêtu plus qu’un caractère ludique chez les Damned. Quant aux préoccupations sociales, elles furent toujours assez ténues chez ces deux groupes.
Seuls les Dead Kennedys ont conservé jusqu’au bout leur rage révolutionnaire, mais en ne parvenant jamais totalement à l’exprimer au travers d’une musique suffisamment consensuelle pour toucher un vaste public.
Si The Clash a indéniablement été un groupe politisé, on peut en revanche se demander s’il a jamais été vraiment un groupe punk. Dès leur premier album, ils sont apparus avec un look assez peu destroy, loin des tee shirts déchirés, des épingles à nourrices et des cheveux hérissés des Sex Pistols.
Leur musique a d’emblée été moins violente et mieux construite que celles des autres groupes surgis dans ces années 1975 a 1977. Ils avaient un vrai projet musical, contrairement aux Sex Pistols et à leurs émules, qui prônaient une attitude nihiliste et revendiquaient leur amateurisme musical (pour user d’un euphémisme) comme étant une marque d’authenticité. En gros, les Clash sont partis avec le niveau musical des Ramones (une de leurs principales influences) mais tandis que ces derniers n’ont jamais évolué, les Clash sont rapidement passé à autre chose, abordant des genres aussi différents que le funk, le reggae ou le ska.
Au nombre des indices plaidant pour un rattachement des Clash au mouvement punk, on peut mentionner le fait que certains membres du groupes sont parfois apparus coiffés à l’iroquoise, qu’une bonne partie du public de leur concerts était constitué de punks et que quelques chansons, essentiellement sur leur premier album, font preuve d’une vraie rage punk : « White Riot », « London’s Burning », « 48 hours » et « 1977 » sont les plus violentes de leur carrière mais seule la première des quatre est, du point de vue de l’agressivité, du niveau des brûlots sortis durant cette année 1977, notamment le fameux « God Save the Queen » des Sex Pistols.
Les Sex Pistols, un groupe bien plus destroy et nihiliste que les Clash
On peut définir le mouvement punk comme une révolte contre l’ordre établi – qu’il s’agisse de l’ordre social ou de l’establishment musical –, ainsi que comme une volonté de retour à une certaine simplicité et une certaine honnêteté dans l’attitude et dans la musique. Si l’on s’en tient à cette définition très générale, alors The Clash entre tout à fait dans cette catégorie et peut même apparaître comme le plus punk de tous les groupes de rock, ex-aequo avec les Dead Kennedys.
Si l’on privilégie une autre définition, basée sur le look, l’auto destruction et le rejet nihiliste de la société et de ses codes (rejet dont l’expression la plus définitive est le fameux slogan « No future »), alors il est bien difficile d’admettre que les Clash furent des punks.
Leur premier album, toutefois, peut encore donner le change car la musique qu’il contient s’apparente en grande partie à la définition classique du punk rock. Celui-ci se caractérise – si l’on en croit Wikipedia – par un désir de retourner à la spontanéité et la simplicité du rock primitif et par un rejet des formes grandiloquentes prises par le rock au cours des années 70, notamment dans le heavy metal et le rock progressif, tendance perçue comme prétentieuse, mercantile et pompeuse. Par contraste, le punk rock a délibérément renforcé la simplicité de ses mélodies, refusant toute démonstration ostentatoire de virtuosité et engageant n’importe qui à former son propre groupe dans sa cave ou son garage ; le format des chansons est plus court (environ 3 minutes) ; les paroles apportent une nouvelle radicalité d’expression dans les sujets politiques et sociaux, traitant souvent de l’ennui urbain, du chômage, voire de thèmes sexuels, qui sont alors abordés de façon crue et à l’aide de métaphores suggestives. A part en ce qui concerne le sexe, à peu près absent sur ce premier disque, “The Clash” (l’album) s’inscrit totalement dans cette définition (ce qui ne sera pas le cas des disques suivants, à l’exception de quelques chansons).
D’une manière générale, les chansons de ce disque, à la manière des saynètes prises sur le vif du petit peuple britannique qu’on trouve dans les chansons des Kinks, racontent la vie de prolétaires anglais, mais en mettant l’accent sur la condition sociale – le plus souvent ouvrière – les problèmes raciaux, la difficulté des jeunes, etc. Le héros de « Janie Jones », par exemple est un ouvrier qui fuit son job ennuyeux en fréquentant une maison de passe tenue par une certaine Janie Jones (personnage qui a réellement existé) et qui rêve de dire un jour à son patron ce qu’il pense de cette vie :
« He dont like his boring job, no
And he knows what he got to do,
He knows hes gotta have fun with you,
You lucky lady […]
He’s just gonna really tell the boss,
Gonna really let him know exactly how he feels,
It’s pretty bad »
Les Clash avec la vraie Janie Jones
« Career Opportunities » évoque la crise, le chômage et la difficulté des jeunes à trouver un boulot épanouissant :
« They offered me the office, offered me the shop
They said I’d better take anything they’d got
Do you wanna make tea at the BBC?
Do you wanna be, do you really wanna be a cop?
Career opportunities are the ones that never knock
Every job they offer you is to keep you out the dock »
« London’s Burning » évoque le temps perdu par les salariés coincés dans des embouteilages interminables :
« I’m up and down the Westway, in an’ out the lights
What a great traffic system – it’s so bright
I can’t think of a better way to spend the night
Than speeding around underneath the yellow lights »
« White Riot » aborde plus directement les problèmes de la jeunesse et constitue un véritable appel à la révolte. Elle a été inspirée à Joe Strummer par les violents affrontements entre la police et les jeunes issus de l’immigration lors du carnaval de Notting Hill (une fête particulièrement suivie par les minorités carribéennes de Londres). Strummer et Simonon assistèrent à ces affrontements récurrents à la fin des années 70 et en tirèrent la conclusion que les jeunes blancs feraient bien d’imiter les noirs et de se révolter eux aussi contre l’oppression et l’exploitation.
« Are you taking orders ? Or are you taking over ?
Are you going backwards ? Or are you going forwards? »
Mais la chanson fut parfois mal comprise, certains croyant y voir un appel à une guerre ethnique entre noirs et blancs.
Plusieurs chansons abordent des problèmes plus spécifiquement liés au monde musical. « Remote control », par exemple, évoque les difficultés rencontrées par le groupe lors du « Anarchy Tour » de 1976, où il accompagna les Sex Pistols, Johnny Thunders & The Heartbreakers et The Damned. Cette tournée concentra sur elle toutes les oppositions au jeune mouvement punk. La plupart des concerts qui étaient prévus furent annulés au dernier moment, les salles fermant les portes aux Sex Pistols à cause du scandale télévisé survenu quelques semaines plus tôt, lorsque Steve Jones, guitariste des Sex Pistols, avait proféré des insultes en direct sur la BBC, répondant aux provocations de l’animateur Bill Grundy. Sur 21 dates au départ, seuls 3 concerts eurent lieu. Quatre autres dates furent trouvées en cours de route, soit 7 concerts en tout. Lorsqu’ils pouvaient jouer, les groupes se voyaient opposés aux autorités locales ou à des groupes religieux qui essayaient d’empêcher les concerts d’avoir lieu. Dans une interview à la télévision, le conseiller municipal de Londres Bernard Brook Partridge déclara à propos des groupes de punk rock : « Some of these groups would be vastly improved by sudden death… I would like to see someone dig a huge hole and bury the lot of them in it. » (« Certains de ces groupes gagneraient à mourir rapidement. J’aimerais voir quelqu’un creuser un immense trou et les y enterrer. ») Les paroles de « Remote Control » dénoncent donc autant les pouvoirs publics que les tenanciers de salles de concert ou l’hypocrisie des maisons de disques :
« Big business, it don’t like you
It don’t like the things you do
They got no money, they got no power
They think you’re useless so you are punk
They had a meeting in Mayfair
They got you down an’ they wanna keep you there
It makes them worried, their bank accounts
It’s all that matters, it don’t count »
De même, la chanson « Garageland » est une réponse à une critique cinglante de Charles Shaar Murray, qui avait écrit dans le New Musical Express que « Les Clash sont le genre de groupe de garage qui devraient rapidement retourner dans leur garage, de préférence avec la porte fermée et le moteur en marche. »
« I’m So Bored with the U.S.A. » est, comme son titre le suggère, une charge anti-américaine dénonçant pêle-mêle l’implication des Etats-Unis dans le soutien à différents dictateurs du tiers-monde, l’américanisation du mode de vie britannique, les turpitudes de Nixon englué dans le scandale du Watergate ou encore l’image trompeuse que des séries comme « Starsky et Hutch » ou « Kojak » donnaient de la police des Etats-Unis.
Si toutes ces chansons sont certainement les plus fortes du disque du point de vue des paroles, quelques autres chansons ont marqué les esprits par leur originalité ou leur ambition musicale.
« Police and thieves » est une reprise d’un classique reggae écrit par Lee Scratch Perry et chanté à l’origine par Junior Marvin. La chanson était régulièrement jouée par The Clash lors de leurs répétitions et c’est en les entendant l’interpréter pendant une break entre deux sessions d’enregistrement que Micky Foote, leur producteur, suggéra de l’incorporer à l’album qui, sans cela, aurait été un peu court. Il faut dire que la version des Clash dure plus de six minutes. Si Junior Marvin comme Lee Scratch Perry ont vertement critiqué cette reprise (le premier déclarant « They have destroyed Jah work! » et le second affirmant qu’ils avaient ruiné cette chanson), il n’en reste pas moins qu’elle n’a été que le premier d’une longue série de flirts des Clash avec le Reggae. De 1979 à 1980, les Clash ont enregistré plusieurs morceaux de reggea ou de ska, parvenant à capter réellement l’esprit de cette musique qu’ils ont toujours aimé. D’ailleurs, la sincérité des Clash n’a jamais été mise en doute, ainsi qu’en témoignent les deux faits suivants : Clash a été invité à jouer au Jamaica World Music Festival de Kingston en 1982 et Bob Marley a composé la chanson » Punky Reggae Party » (jamais publiée sur album) en hommage aux groupes punks et à la musique New Wave qui selon lui ouvraient de nouvelles perspectives de rapprochement culturel; la chanson évoque une party imaginaire en précisant : « The Wailers will be there, The Damned, The Jam, The Clash – Maytals will be there, Dr. Feelgood too ».
Enfin, les chansons « Hate & War », « What’s my name » et « Deny » se distinguent par leur qualité mélodique et leur relative complexité d’écriture. Le contraste est d’autant plus marquant qu’elles se situent, sur le disque, prises en sandwich entre « White Riot » et « London’s Burning », deux chansons à trois accords qui, nonobstant leur côté excitant, sont quand même parmi les plus simplistes de la carrière du groupe du point de vue purement musical.
L’impact de cet album a été phénoménal. S’il n’a jamais dépassé la 12ème place dans le classement britannique, il a cependant obtenu des critiques excellentes de la plupart des revues spécialisées : All Music, Alternative Press, Robert Christgau, le magazie Rolling Stone, ou le magazine Q lui ont tous attribué la meilleure note possible (une unanimité extrêmement rare) et Christgau a même écrit (en 1979) qu’il était le plus grand album de l’histoire du rock’n’roll (« the greatest rock and roll album ever manufactured anywhere « ). Le même New Musical Express qui avait assassiné les Clash en 1976 a corrigé son point de vue en 1993 en plaçant le disque au 13ème rang des plus grands disque de rock de l’histoire et au troisième rang des meilleurs disques des années 70, ajoutant le commentaire suivant : « the speed-freaked brain of punk set to the tinniest, most frantic guitars ever trapped on vinyl. Lives were changed beyond recognition by it ».