L’ÉVOLUTION DE L’ÉTAT EN FRANCE ET EN ANGLETERRE DU XVIIème A LA FIN DU XVIIIème SIÈCLE (2)

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2/ LIMITES ET CONTESTATION DE L’ABSOLUTISME EN FRANCE ET EN ANGLETERRE

a) La France face à la contestation parlementaire

Hommage de René d’Anjou au roi de France Louis XI en 1469. René d’Anjou était à la fois Duc d’Anjou, Comte de Provence, Duc de Bar, Comte de Guise et même roi de Naples, de Jérusalem et d’Aragon, un personnage au moins aussi puissant que le roi de France.

On a vu dans la première partie que les rois de France ont longtemps été en rivalité avec la noblesse pour le contrôle du pouvoir politique. Au Moyen-âge, le système politique était celui de la féodalité. Les rois étaient faibles. Ils régnaient officiellement sur toute la France mais, étant incapable d’imposer leur autorité sur un territoire aussi vaste faute d’une armée puissante et d’une administration efficace, ils avaient confié la gestions des différentes portions du territoire à des nobles. Ceux-ci étaient en quelque sorte des « mini rois » sur leur fief, possédant leur propre armée, rendant la justice et levant des impôts sur leurs paysans. Leur seule contrainte était de prêter serment au roi par une cérémonie appelée l’hommage, qui faisait d’eux les vassaux du roi.

Le roi, quant à lui, était maître d’un territoire nommé le domaine royal, où son pouvoir s’exerçait pleinement, mais dont la superficie était très modeste : en 1030, sous le règne de Robert II, le domaine royal (en bleu sur la carte ci-dessous) est beaucoup plus petit que le Duché de Normandie ou le Duché d’Aquitaine. D’ailleurs, la plupart des fiefs détenus par ces grandes familles nobles sont si vastes qu’elles doivent, elles aussi, confier la gestion de l’essentiel de ces territoires à des vassaux de deuxième catégorie, qui peuvent à leur tout s’appuyer sur des vassaux de troisième niveau, et ainsi de suite. De cette manière se constitue la pyramide féodale dont le roi constitue le sommet. Il n’est considéré par la noblesse que comme le suzerain de tous les suzerains.

Des le début de la royauté, des souverains ont tenté d’accroître le domaine royal et de limiter l’indépendance et la puissance de la noblesse. On a vu dans la partie précédente qu’ils avaient dû pour cela combattre les nobles les moins obéissants (il y a eu par exemple une longue période de conflit entre le roi de France et le Duc de Bourgogne, de 1407 à 1477). Petit à petit, la noblesse perd une partie des ses droits : elle ne peut plus détenir d’armée ni fabriquer ses propres pièces monnaie, ni rendre la justice sur ses terres (sauf pour les affaires mineures). Dans le même temps, les rois de France tentent d’acheter la soumission de la noblesse par différents cadeaux : pensions, offices militaires ou administratifs, décorations diverses, comme l’Ordre de Saint-Louis, etc. Toute cette transformation s’est opérée sur une période de quatre ou cinq siècle. A l’époque d’Henri IV (voire de Louis XIII) on considère que la noblesse est complètement soumise et que la période féodale est terminée, remplacée par la monarchie absolue.

Louis XIII en majesté, par Philippe de Champaigne (vers 1635)

En réalité, les nobles n’ont jamais renoncé à l’idée de recouvrer leur ancien pouvoir et leur ancienne indépendance. Jusqu’à la Révolution de 1789 les relations entre la royauté et la noblesse sont restées conflictuelles. Ce conflit a pris principalement deux formes :
– des révoltes armées, locales la plupart du temps, c’est-à-dire ne concernant qu’une poignée de nobles dans une région limitée, mais il y a eu un exemple de révolte générale au début du règne Louis XIV : la « Fronde ».
– une contestation juridique du pouvoir royal : la noblesse produit régulièrement des textes de revendication prétendant imposer un meilleur partage du pouvoir politique entre le roi et la noblesse. Le plus souvent se sont les Parlementaires qui mènent cette contestation, c’est pourquoi on peut la qualifier de « contestation parlementaire ».

François Premier au Parlement le 24 juillet 1527

Par exemple, le 24 juillet 1527, François Premier se rend devant le Parlement de Paris où M. Claude Guillard, président du Parlement, déclare ceci :

« Nous ne voulons discuter de votre puissance, ce serait une espèce de sacrilège et savons bien que vous êtes par-dessus les lois, et que les lois ne peuvent vous contraindre, mais notre intention est de dire que vous ne devez pas faire ce que vous pouvez mais seulement ce qui est en raison bon et équitable, qui n’est autre chose que justice. »

Le roi fait répondre aux Parlementaires par son porte-parole :  « le roi vous défend que vous vous mêliez de quelque façon d’autre chose que la justice. Le roi défend au Parlement d’user de limitation, modification ou restriction sur ses ordonnances et édits. »

Après cette lecture, le roi s’est levé et s’est retiré accompagné des membres de son conseil.

Procès-verbal du lit de justice tenu par le roi, 24 juillet 1527.

 

Quant aux révoltes de Nobles, elles prennent des formes variables mais sont généralement sévèrement réprimées, comme celle du Marquis de Cinq-Mars. Cet ancien ami du roi, avait fini par se brouiller avec Louis XIII à cause de l’influence qu’exerçait le Cardinal Richelieu sur le roi. Il avait organisé un complot pour renverser ou assassiner Richelieu, avec l’appui de l’Espagne. Découverts, lui et ses complices furent exécutés. Sa famille bannie. Son château rasé.

 

L’exécution d’Henri Coiffier de Ruzé d’Effiat, Marquis de Cinq-Mars et de son complice François-Auguste de Thou, le 12 septembre 1642 à Lyon. Contrairement aux membres du tiers état, qui étaient pendus, les nobles étaient décapités.

 

 

En fait, les révoltes locales et la contestation parlementaire sont souvent liées, comme on va le voir avec le cas de la Fronde.

  • La Fronde, une révolte armée qui met le pouvoir royal en péril

En 1648, Louis XIV n’est âgé que de neuf ans. La majorité royale étant fixée à 13 ans, c’est sa mère Anne d’Autriche, qui assure la régence tandis le Cardinal de Mazarin s’occupe du gouvernement. D’origine italienne, c’est un homme très puissant, très rusé et particulièrement détesté par la grande noblesse.

Le pays doit alors mener des guerres extérieures contre les Habsbourg [*] et cet effort nécessite d’accroître les impôts. Or ces nouveaux impôts touchent aussi la noblesse. De plus, pour faire des économies, le pouvoir a décidé de suspendre pour quatre ans le paiement des gages aux Parlementaires, c’est-à-dire leur rémunération. C’est le prétexte qui entraîne les privilégiés dans une révolte. Ils montent le peuple contre le gouvernement en critiquant dans des textes anonymes appelés des « libelles » (voir illustration ci-dessous) le luxe de la Cour royale. A l’époque, la cour est installée au Louvre [*]).

Une « Mazarinade ». Les libelles étaient de petits livres ou des tracts de quelques pages (souvent illustrés) qui dénonçaient tel ou tel personnage de manière souvent humoristique et injurieuse. La plupart visait Mazarin, c’est pourquoi on les appelait les « Mazarinades ». L’auteur, s’il était découvert, risquait la peine de mort, de même que l’imprimeur et le vendeur, ce qui n’empêchait pas qu’il y en avait des milliers et que certains textes étaient même parfois lus en public. Dans l’exemple ci-dessus, les lettres CM désignent le Cardinal de Mazarin.

Les Parlements de France et leur zone d’action

Le Parlement prend alors en main la contestation. Le Parlement est la cour supérieure de justice de la France. Il existe en fait une quinzaine de parlements en France (à peu près un par région) mais celui de Paris est le plus important. On les qualifie souvent de « Cours souveraines » car les décisions de justice qu’ils rendent sont souveraines, c’est-à-dire que même le roi ne peut s’y opposer. Leurs membres sont des juges qui ont acheté leur charge. Acheter une de Parlementaire permettait d’être anobli. Beaucoup de riches bourgeois ont acquis la noblesse par l’achat de cette charge (mais certains Parlementaires étaient déjà issus de famille noble). Ce sont des hommes extrêmement puissants et riches. Leur fonction ne se limite pas à juger des affaires de justice. Ils ont aussi comme prérogative de procéder à l’enregistrement des lois, c’est-à-dire l’inscription de toutes les nouvelles lois dans des registres où elles seront conservées. Ils se considèrent donc comme les gardiens de la loi. Ils aimeraient cependant faire un peu plus que se contenter de garder la loi ; ils souhaiteraient pouvoir la faire.

Le Parlement du Roussillon en 1710 (tableau anonyme)

Le 2 juillet 1648, le Parlement de Paris impose à Anne d’Autriche, la Régente, une charte de 27 articles qui donne aux Parlements le droit de valider tout impôt nouveau. En voici quelques articles :

« 1- Les intendants de justice, et toutes autres commissions extraordinaires, non vérifiées ès [*] cours souveraines, seront révoqués dés à présent.

3 – Ne seront faites aucune impositions et taxes qu’en vertu d’édits et déclarations, bien et dûment vérifiés ès cours souveraines, auxquelles la connaissance en appartient avec liberté de suffrage, et que l’exécution desdits édits et déclaration sera réservée aux dites cours. […]

6 – Qu’aucun des sujets du roi, de quelque qualité et condition qu’il soit, ne pourra être détenu prisonnier passé 24 heures, sans être interrogé, suivant les ordonnances, et rendu à son juge naturel […]

19 – Qu’il ne pourra à l’avenir être fait aucune création d’office, tant de judicature que de finances, que par édits vérifiés ès cours souveraines, avec la liberté entière des suffrages. […] »

Déclaration des « 27 articles » du Parlement de Paris, 8 juillet 1648

L’arrestation de Pierre Broussel (gravure de 1900)

En réaction, la Régente fait arrêter plusieurs parlementaires, dont le meneur Pierre Broussel, qui jouit d’une réputation de grande honnêteté et d’une immense popularité. Son arrestation provoque un soulèvement à Paris : c’est la « journée des Barricades ». La régente libère ses prisonniers mais conduit le cardinal Mazarin, le jeune roi Louis XIV et son frère Philippe au château de Saint-Germain-en-Laye pour les mettre en sécurité tout en donnant l’ordre à l’armée royale, commandée par Condé, de mettre le siège sur la capitale. On est alors au bord de la guerre civile. Les Parlementaire sont inquiets à l’idée d’être dépassés par ce mouvement incontrôlable. Si la situation dégénère en révolution, elle pourrait renverser la monarchie et emporter les parlements et toutes les autres institutions monarchiques avec. Ils préfèrent signer un compromis avec la Régente, la paix de Rueil, le 11 mars 1649, dans lequel ils renoncent à leur prétentions. C’est donc une victoire pour la Régente.

Cependant, la fin de la Fronde parlementaire ne marque pas la fin de la contestation. Elle va se poursuivre par la fronde de la Grande noblesse ou « Fronde des Princes ». Beaucoup de grandes familles nobles (dont les Condé), qui espéraient la victoire des Parlementaires, sont frustrés par cette reculade. Ils décident d’entrer en désobéissance. Une véritable guerre civile débute, d’autant que certains de ces nobles, comme le Prince de Conti, n’hésitent pas à renier leur serment d’allégeance à la couronne de France et à s’allier au roi d’Espagne (à l’époque l’une des pires adversaires de la France).

La Fronde s’étend à une grande partie du territoire français

Cette situation va durer trois ans, mais les princes révoltés sont mal coordonnés, rivaux les uns des autres, et leur alliance avec l’Espagne les a rendus impopulaires. Devant la supériorité de l’armée royale ils finissent par être contraints de s’avouer vaincus.

L’armée royale affronte l’armée du Prince de Condé lors de la Bataille du faubourg Saint-Antoine, sous les murs de la Bastille en 1652 (tableau anonyme du 17ème siècle)

En octobre 1652, Louis XIV, désormais majeur, rentre à Paris avec sa mère. Il accorde une amnistie [*] aux rebelles à condition qu’ils déposent les armes. La « Fronde des Princes » est finie.

Louis XIV a été traumatisé par la fuite de 1648 dans un Paris en révolte. Il va garder toute sa vie une grande méfiance à l’égard de Paris et des Parisiens, préférant quitter le Louvre, résidence de la cour depuis quatre siècles, et bâtir un nouveau palais à Versailles (à partir de 1660).

La construction du château de Versailles par Adam François van der Meulen, 1669

La monarchie française sort renforcée des épreuves de la Fronde tandis qu’à la même époque, l’Angleterre connaît un épisode très similaire à la Fronde mais qui va évoluer complètement différemment. Quant aux parlementaires français, ils ont perdu une occasion de faire plier la royauté, mais ils ne sont pas prêts à baisser les bras. Ils vont poursuivre le combat pour le contrôle du pouvoir politique.

 

  • La contestation parlementaire

Dès le règne de Louis XIII (donc bien avant la Fronde) les Parlements ont commencé à contester les pouvoirs croissants du roi. Deux raisons à cela :

– la pression fiscale augmentait à cause du coût des guerres interminables menées par Louis XIII, et certains impôts touchaient même la noblesse
– Louis XIII avait créé la charge d’Intendant du roi. Ces personnages, surnommés « œil du roi » et « main du roi » dans la province, avaient des pouvoirs si étendus qu’ils empiétaient sur les pouvoirs des Parlements.

Pour s’opposer au pouvoir royal, les Parlementaires disposaient d’un outils : le droit de remontrance. Ils avaient, en effet, le droit d’émettre un avis sur toutes les lois qu’ils étaient chargés d’enregistrer. S’ils jugeaient que la loi était en infraction avec les lois fondamentales du royaume [*], ou bien qu’elles risquaient d’entraîner certaines conséquences négatives, ils pouvaient émettre un avis négatif que l’on appelait une « remontrance ». 

Le Cardinal de Richelieu, tableau de Philippe de Champaigne

Dans les années 1620 à 1640, les remontrances deviennent tellement systématiques que Louis XIII finit par sévir et fait proclamer par le Cardinal de Richelieu l’Édit de Saint-Germain en Laye en 1641. Ce texte impose :

 » qu’il ne seroit traité d’aucune matière d’état en nosdites cours de parlement, si ce n’est par commission spéciale, et qu’elles auroient seulement la cognoissance en fait de la justice […] » De plus, l’édit « défend à ladite cour de s’entremettre en quelque façon que ce soit du fait de l’état ny d’autre chose que de la justice : déclare nul et de nul effet tout ce que les officiers de ladite cour feront au contraire. »

En français moderne, cela signifie que les Parlements  ne devront jamais se mêler des questions de gouvernement (« matière d’état ») et qu’ils limiteront leurs interventions aux affaires de justice. Tout acte des Parlementaires sortant du cadre judiciaire sera considérée comme « nul et de nul effet ».

Peu de temps après, Louis XIII meurt (en 1643) et les Parlementaires profitent de la minorité du jeune Louis XIV pour essayer de faire avancer leur revendication, ce qui provoque, on l’a vu, la crise de la Fronde.

La victoire remportée par la monarchie dans la Fronde affaiblit momentanément l’agitation de la noblesse. Les parlementaires se tiennent tranquille tout au long du règne de Louis XIV (règne qui dure quand même 72 ans !). Le roi va même jusqu’à retirer aux Parlements leur droit de remontrance.

Après la mort de Louis XIV, en 1715, la contestation reprend de plus belle, d’autant qu’une nouvelle fois le roi est très jeune : Louis XV n’a que cinq ans lorsqu’il accède au trône. De plus, le régent, Philippe d’Orléans va devoir redonner une partie de son pouvoir au Parlement.

Philippe d’Orléans est le petit-fils de Louis XIII, donc il était le neveu de Louis XIV et le grand-oncle de Louis XV. Mais Louis XIV se méfiait de lui et, dans son testament, ne lui avait confié qu’un pouvoir très faible. Dès que Louis XIV est mort, Philippe d’Orléans s’est mis d’accord avec le Parlement de Paris pour faire modifier le testament du roi afin d’obtenir le droit d’exercer pleinement la régence. En échange, le Parlement a réclamé que lui soit restitué le droit de remontrance.

Le régent Philippe d’Orléans, par Jean-Baptiste Santerre, en 1717

 

Philippe d’Orléans est aussi partisan d’une participation accrue de la noblesse au gouvernement. Il multiplie le nombre de Conseils de gouvernement (chacun spécialisé dans un domaine – il y en a par un exemple un pour la guerre, un pour la Marine, un pour les finances – en tout il y en a huit). Les nobles les plus influents peuvent participer à ces Conseils. Ce système [*] ne va pas bien fonctionner à cause des désaccords perpétuels qui se produisent entre les membres des conseils. Le régent finit par supprimer les Conseils et revient à l’ancien système, mais pendant les quelques années où elle a de nouveau pu participer au pouvoir, la noblesse y a pris goût et n’entend pas se faire de nouveau marginaliser.

Rapidement, un bras de fer s’engage entre la noblesse, soutenue par les Parlements et le roi, qui s’appuie sur son principale ministre, le Cardinal Dubois, qui veut de nouveau priver les parlementaires de leur droit de remontrance. Finalement, un accord est trouvé : le Parlement pourra conserver son droit de remontrance à condition de ne pas en abuser. Cette position modérée est formulée par le Régent lui-même dans le discours suivant :

« La fidélité, le zèle et la soumission avec lesquels notre cour de parlement a toujours servi le roi […], nous engageant à lui donner des marque publiques de notre confiance, et surtout dans un temps où les avis d’une compagnie aussi sage qu’éclairée, peuvent nous être d’une si grande utilité, nous avons cru ne pouvoir rien faire de plus honorable pour elle et de plus avantageux pour notre service même, que de lui permettre de nous représenter ce qu’elle jugera à propos avant que d’être obligée de procéder à l’enregistrement des édits et déclarations que nous lui adresserons, et nous sommes persuadés qu’elle usera avec tant de sagesse et de circonspection de l’ancienne liberté dans laquelle nous la rétablissons, que ses avis ne tendront jamais qu’au bien de notre État, et mériteront toujours d’être confirmés par notre autorité. À ces causes […] voulons et nous plaît que lorsque nous adresserons à notre cour de parlement des ordonnances, édits, déclarations et lettres patentes, émanés de notre seule autorité et propre mouvement […] pour les faire enregistrer, notre dite cour, avant que d’y procéder, puisse nous représenter ce qu’elle jugera à propos pour le bien public de notre royaume; et ce dans la huitaine au plus tard du jour de la délibération qui en aura été prise […].

Déclaration du Régent au parlement de Paris le 15 septembre 1715

Louis XV en costume de sacre, tableau de Louis-Michel Van Loo (1762)

 

Ce fragile équilibre va se maintenir durant une bonne partie du règne de Louis XV, mais dans les années 1760, les relations entre le roi – maintenant âgé de cinquante ans – et les Parlements se dégradent. En vieillissant, Louis XV est devenu de plus en plus autoritaire. Surtout, ses guerres ont vidé les caisses du royaume, ce qui oblige le Contrôleur général des finances à créer de nouveaux impôts, comme le deuxième vingtième en 1756 et le « triple vingtième » en 1760. Plus grave encore, ces nouveaux impôts sont censés s’appliquer à tous les territoires du royaume, or, certaines provinces, comme la Bretagne, bénéficient d’un statut spécial : on les appelle les « pays d’État » car, ayant été intégrées tardivement dans le royaume, elles disposent d’une autonomie plus grande et d’un Parlement un peu plus indépendant. En particulier, tout nouvel impôt doit être accepté par leur parlement.

Lorsque le « double vingtième » est créé, le Parlement de Bretagne émet un arrêt interdisant de lever de nouveaux impôts sans le consentement du Parlement. Le roi annule cet arrêt et menace de dissoudre le Parlement. Il fait même arrêter son Président Louis-René Caradeuc de La Chalotais. Les parlements de Paris et de Rouen protestent aussitôt, ce dernier allant jusqu’à rappeler au souverain les limites de son pouvoir. Voici par exemple la position prise par le Parlement de Rouan :

Sire, nous ne craignons pas de le dire, accroître le nombre et la masse des impôts, appesantir encore un fardeau déjà accablant, ce serait un parti extrême, capable de consommer sans retour la ruine d’un peuple fidèle […]. Daignez, Sire, vous dérober un instant au spectacle de votre cour, à la grandeur et à la magnificence qui vous environnent, et fixer vos regards sur une province de laquelle vous exigez de nouveaux efforts […]. Chargés par le plus essentiel de nos devoirs de porter la vérité au Trône, nous vous en parlons, Sire, exactement le langage, et nous avons autant de témoins que la province peut compter d’habitants. […] Nous réclamons, Sire, l’exécution de ces lois […]. C’est par les lois, Sire, que vous régnez, elles sont le plus ferme appui du Trône.

Remontrances du parlement de Rouen au roi Louis XV, 26 juillet 1760.

 

Comme toujours, les Parlementaires ne montrent pas qu’ils défendent leurs propres intérêts ou ceux de leur caste (la noblesse) mais ils font passer leur revendication pour une demande de justice sociale en demandant au roi de s’intéresser moins à la cour de Versailles et un peu plus aux souffrances du peuple : « fixer vos regards sur une province de laquelle vous exigez de nouveaux efforts« . Ce sera toujours la tactique des Parlementaires : faire croire qu’ils parlent au nom de tous les Français.

Excédé, le 3 mars 1766 Louis XV se rend en personne au Parlement de Paris où il fait lire par son ministre un discours sévère pour réaffirmer l’autorité royale. Ce discours  est connu sous le surnom de « Discours de la flagellation » :

C’est en ma personne seule que réside la puissance souveraine, (…) ; c’est de moi seul que mes cours tiennent leur existence et leur autorité ; la plénitude de cette autorité, qu’elles n’exercent qu’en mon nom, demeure toujours en moi, et l’usage n’en peut jamais être tourné contre moi ; c’est à moi seul qu’appartient le pouvoir législatif, sans dépendance et sans partage ; c’est par ma seule autorité que les officiers de mes cours procèdent, non à la formation, mais à l’enregistrement, à la publication, à l’exécution de la loi, et qu’il leur est permis de remontrer, ce qui est du devoir de bons et utiles conseillers ; l’ordre public tout entier émane de moi et les droits et les intérêts de la Nation, dont on ose faire un corps séparé du Monarque sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu’en mes mains.

Extrait du Discours lu au nom de Louis XV devant le Parlement de Paris le 3 mars 1766

On voit que le roi voulait faire comprendre aux Parlementaires que la Monarchie absolue est une forme de pouvoir personnel, sans partage, puisque dans ces quelques lignes il répète pas moins de douze fois les mots « moi », « ma », « mes » ou « mien ». Quant au pouvoir qu’il consent à accorder au Parlement, il est résumé par la formule : « les officiers de mes cours procèdent (…) à l’enregistrement, à la publication, à l’exécution de la loi » [et] il leur est permis de remontrer, ce qui est du devoir de bons et utiles conseillers ». Dorénavant les Parlementaires devront se limiter à enregistrer les nouvelles lois et surveiller leur bonne application ; éventuellement ils pourront faire des remontrances. Rien de plus.

René-Augustin de Maupeou en habit de Chancelier (vers 1771)

Pourtant, le bras de fer continue jusqu’en 1771, où les Parlements décident de se mettre en grève : les nouvelles lois ne pourront plus être enregistrées. Louis XV frappe alors un grand coup. Il renvoie le Duc de Choiseul, son Chancelier (c’est-à-dire ministre de la Justice) et le remplace par le Marquis de Maupeou, à qui il ordonne de chasser tous les parlementaires qui refuseront d’obéir. Des soldats viennent visiter chaque parlementaire à son domicile. A chacun ils demandent de répondre par oui ou par non s’ils veulent reprendre leurs fonctions. La plupart refusent. Ils sont exilés et remplacés par de nouveaux juges qui, eux, n’ont pas achetés leur fonction mais sont des fonctionnaires nommés par le roi.

L’exil des Parlementaires français va durer presque quatre ans. En 1774, Louis XV meurt. Louis XVI monte sur le trône. Pour se rendre populaire, il accorde le pardon aux Parlementaires et leur rend leur place ainsi que leur droit de remontrance. Ces derniers ne tardent pas à en abuser de nouveau, bloquant toute tentative de réforme majeure alors que le pays a plus que jamais besoin de mener des grandes réformes financières, économiques et sociales, en ces temps où l’industrialisation démarre.

Le retour des Parlementaires à Paris après des années d’Exil à Troyes, suscite les acclamations de la foule. (gravure de 1988)

 

b) La « Glorieuse Révolution » anglaise

Portrait d’Henri VIII par Joos van Cleve à l’époque de la rupture avec la Papauté

L’Angleterre était bien partie pour évoluer de la même manière que la France. Au XVIème siècle, le pouvoir royal s’était renforcé, en particulier sous le règne de Henry VIII et d’Elizabeth I.

Henry VIII (1509-1547) a rompu avec l’Église catholique en 1532 et fondé l’Église réformée d’Angleterre ou Église anglicane. Non seulement cela renforçait le pouvoir du roi (qui cessait d’être soumis à la volonté du Pape), mais il en profita pour interdire tous les monastères et couvents catholiques et saisir leurs biens qui furent rattachés à la couronne. De cette manière, la couronne s’empara de près de 20% des terres agricoles du pays. Une grande partie fut attribuée à des nobles sous forme de fief, ce qui renforça le soutien de la noblesse à la royauté, mais ce qui augmenta aussi sa dépendance.

 

Sous le règne d’Élisabeth (1558-1603), l’Angleterre se lance dans la conquête de l’Amérique en implantant ses premières colonies dans la baie d’Hudson (région de l’actuel New York) et elle développe une marine aussi puissante que celle de l’Espagne. Le pays devient une grande puissance navale et commerciale et s’enrichit beaucoup.

Portrait de la reine Élisabeth par Segar, 1585

 

 

Comme en France, il existe un Parlement, mais le Parlement anglais est assez différent. D’abord il n’y en a pas un dans chaque province, mais un seul, situé à Londres. Ensuite, ses pouvoirs sont un peu plus importants que ceux des Parlements français. Il comprend deux chambres : la chambre des lords (composée de nobles – les « lords temporels » – et de dignitaires de l’Église – les « lords spirituels » – tous nommés par le roi ou la reine) et la chambre des communes (composée de membres de la grande bourgeoisie élus par les villes). Jusqu’au XVème siècle, la chambre des communes avait le pouvoir de voter les impôts et les dépenses de L’État. Le renforcement du pouvoir royal au XVIème siècle a réduit son pouvoir. Cela ne l’empêche de réaffirmer régulièrement ses pouvoirs, même s’il ne les applique que très partiellement dans la réalité. Ainsi, en 1589, le Parlement publie la déclaration suivante, par la voix de Sir Thomas Smith :

« Le pouvoir suprême et absolu , dans le royaume d’Angleterre, réside dans le Parlement. Le Parlement abroge les lois anciennes, il en fait de nouvelles, ordonne ce qu’il faut garder du passé et de ce qui vient après, modifie les droits et la propriété individuels, légitime les bâtards, établit les formes de la religion, condamne ou absout ceux que le Prince a mis en accusation ; en bref, […] le parlement d’Angleterre […] détient la puissance de tout le royaume. »

Quelques années plus tard, un Parlementaire français ayant visité l’Angleterre observe une toute autre réalité :

« Le gouvernement dépend entièrement de la Reine qui s’est établi une merveilleuse obéissance avec un grand esprit et amour du peuple. Le Parlement a eu anciennement beaucoup d’autorité en ce Royaume-là. Mais aujourd’hui, il suit partout où la Reine veut, parce que les prélats dépendent d’elle [*] ; les barons qui lui oseraient déplaire sont en petit nombre. »

Guillaume du Vair, Advis sur la constitution de l’Estat d’Angleterre, 1600

La reine Elizabeth devant les Parlementaires vers 1590

Jusqu’au début du XVIIème siècle, les Parlementaires ont accepté cet affaiblissement de leur pouvoir car le pays était alors continuellement en guerre contre l’Espagne (la plus grande puissance européenne en ce temps là) ce qui menaçait la survie même de l’Angleterre. L’Espagne avait même constitué une flotte de guerre gigantesque, « l’Invincible Armada », pour envahir l’Angleterre, flotte qui, malgré son nom, fut vaincue en 1588, sous le règne d’Élisabeth I.

Dès que la menace espagnole s’est atténuée, le Parlement a exigé que la Reine renonce aux pouvoirs importants qu’elle s’est arrogée au prétexte des dépenses militaires. La fin du règne d’Élisabeth est marqué par le début d’un conflit entre le Parlement et la Royauté qui ressemble beaucoup à ce qui se passe en France presque au même moment.

Le successeur d’Élisabeth, Jacques [*] 1er (1603-1625) affronte l’opposition croissante des Parlementaires qui porte principalement sur deux sujets : la religion et le pouvoir législatif.

– Dans le domaine religieux, le Parlement est beaucoup plus intransigeant que le roi. Celui-ci fait preuve d’une relative tolérance envers les catholiques, qui sont nombreux à vivre encore en Angleterre, tandis que le Parlement voudrait les chasser ou les emprisonner. Beaucoup de députés du Parlement appartiennent au courant religieux appelé « Puritain ». Ce sont des protestants extrémistes qui considèrent que l’Église anglicane est encore trop influencée par les vieilles habitudes catholiques. En effet, peu de choses différencient l’Église anglicane de l’Église catholique à part le fait que la première n’obéit pas au Pape mais au roi, contrairement à la deuxième.

– Dans le domaine politique, les députés veulent interdire au roi de décider de nouveaux impôts ou de nouvelles dépenses et ils veulent limiter les « prérogatives royales ». Les prérogatives royales sont les pouvoirs spéciaux dont dispose le roi. Ceux qui mécontentent le plus les parlementaires sont le droit du souverain d’emprisonner une personne sans jugement ou le droit d’accorder aux personnes de son choix des dispenses leur permettant d’enfreindre les lois.

Discours de Jacques 1er à la chambre des Communes en 1609 (Gravure de 1624)

Il faut dire que Jacques 1er est un souverain particulièrement autoritaire. En 1609, au début de son règne, il convoque le Parlement et déclare ceci :

C’est à juste titre que l’on appelle les rois des dieux, car ils exercent sur terre une puissance qui ressemble au pouvoir divin. Considérez les attributs de Dieu et vous les reconnaîtrez dans la personne du roi. Dieu a le pouvoir de créer ou de détruire, de faire ou de défaire selon son bon plaisir, de donner la vie ou la mort, de juger tout le monde sans rendre aucun compte. Les rois possèdent pareil pouvoir. La fortune de leurs sujets dépend de leur bon plaisir; ils peuvent élever ou abaisser, disposer du droit de vie et de mort, juger tous leurs sujets sans avoir de compte à rendre sauf à Dieu. […] De même qu’il est impie et sacrilège de porter un jugement sur les actes de Dieu, de même il est téméraire et inconvenant pour un sujet de critiquer les mesures prises par le roi.

Les reproches fait à Jacques 1er sont pourtant peu de choses à côté de ceux que son fils et successeur Charles 1er va susciter : plus autoritaire que son père, encore plus bienveillant à l’égard des catholiques, il provoque une véritable révolte du Parlement.

Comme pour son père, le conflit porte à la fois sur des questions religieuses et politiques : Charles 1er est beaucoup trop accommodant à l’égard des catholiques (il a d’ailleurs épousé une catholique, la fille du roi de France Louis XIII, et promis secrètement à ce dernier que l’Angleterre cesserait de persécuter les catholiques) ; par ailleurs il se méfie des puritains. Au plan politique, le conflit porte sur le droit pour le roi de lever de taxes sans l’accord du Parlement, ce que Charles 1er désire et à quoi le Parlement cherche à s’opposer.

Portrait de Charles 1er par Antoine van Dyck en 1636

Une taxe décidée par la couronne en 1627 pour financer une nouvelle Guerre contre l’Espagne provoque l’affrontement : cinq nobles décident de refuser de payer. Le roi ordonne leur arrestation. Après un procès connu sous le nom d’affaire « Des cinq chevaliers » (ou « d’Affaire Darnel », du nom de l’un de ces nobles), les cinq hommes sont emprisonnés en vertu de la prérogative royale. Le Parlement réagit en publiant en 1628 la Déclaration des Droits [*]. Ce texte réaffirme les droits du Parlement et les limites du pouvoir royal :

1 – Les lords spirituels et temporels et les Communes, assemblés en Parlement, représentent très humblement à notre souverain seigneur le roi […] que (vos sujets) ne sauraient être contraints à participer à aucune taxe, taille, aide ni autre charge analogue, sans le commun consentement de la nation exprimée en Parlement.
2 – Considérant néanmoins que depuis peu, […] votre peuple a été assemblé en plusieurs endroits et requis de prêter certaines sommes d’argent à Votre Majesté […] 3 – Considérant qu’il est aussi arrêté et établi par le statut dénommé Grande Charte des libertés d’Angleterre, qu’aucun homme libre ne pourra être arrêté ou mis en prison, ni dépossédé de ses libertés ou franchises, ni mis hors la loi ou exilé, ni molesté d’aucune autre manière, si ce n’est en vertu d’une sentence légale de ses pairs ou des lois du pays […] 5 – Considérant néanmoins que malgré ces statuts et autres règles et bonnes lois de votre royaume avant la même fin, plusieurs de vos sujets ont été récemment emprisonnés sans que la cause en ait été indiquée […] 10 – A ces causes, ils supplient humblement Votre très excellente Majesté que nul à l’avenir ne soit contraint de faire aucun don gratuit, prêt d’argent, ni présent volontaire, ni de payer aucune taxe ou impôt quelconque, hors le consentement commun voté par le Parlement […], qu’aucun homme libre ne soit arrêté ou détenu de la manière indiquée plus haut […]

Dans ce texte, les Parlementaires font preuve d’une grande prudence. Ils se montrent très respectueux du roi et expriment leurs revendications sous la fore d’une supplique (article 10). Cela ne les empêche pas, toutefois, de faire une allusion très claire à l’affaire des cinq chevaliers (article 5). Leur argument principal est de faire référence à la Grande Charte des libertés d’Angleterre (évoquée dans l’article 3). Il s’agissait d’un accord important qui avait été signé en 1215 entre la noblesse d’Angleterre et le roi Jean Sans Terre. Dans son article 39, cette Grande Charte (ou Magna Carta, en latin) stipulait le principe suivant :

« Aucun homme libre ne sera saisi, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté, de quelque manière que ce soit. Nous ne le condamnerons pas non plus à l’emprisonnement sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays. »

Charles 1er approuve la Pétition des droits car il sait qu’il aura beaucoup de mal à lever de nouveaux impôts sans l’autorisation du Parlement. Il espère, par ce geste de bonne volonté, obtenir un meilleur soutien de la part des Parlementaires. Mais l’année suivante, en 1629, une nouvelle taxation décidée par la couronne amène un groupe de Parlementaires de la Chambre des Communes à prononcer la déclaration suivante :

« Quiconque paye un droit de douane non autorisé par le Parlement est un traître aux libertés de l’Angleterre et un ennemi de la nation. »

Furieux, Charles 1er dissout le Parlement. Il va gouverner durant les onze années suivantes sans Parlement, ce que de nombreux Anglais commencent à qualifier de « tyrannie ».

En 1640, des révoltes éclatent en Écosse et en Irlande. Charles 1er réunit un nouveau Parlement car il a besoin d’argent pour mater ces révoltes. Mais les relations avec ce nouveau Parlement s’avèrent aussi compliquées qu’avec le précédent. Dans une déclaration publiée en 1641 et nommée la « Grande Remontrance », le parlement impose certaines conditions au roi : il acceptera de voter les dépenses nécessaires à l’intervention en Écosse et en Irlande à condition

« que les évêques soient dépouillés du droit de voter au parlement »,

« d’éloigner de son Conseil (c’est-à-dire du gouvernement) ceux qui persistent à soutenir ou à favoriser les oppressions et les abus dont le peuple a été affligé »,

– d’accorder au Parlement le droit de valider par un vote le nomination de tout nouveau ministre.

Charles 1er refuse ces conditions, ce qui provoque en 1642 le déclenchement d’une guerre civile appelée English Civil War mais qui est aussi connue sous le nom de Première révolution anglaise.

Le Parlement constitue un armée qu’il place sous les ordres d’un parlementaire nommé Oliver Cromwell. Les forces de Cromwell, alliées aux Écossais, affrontent l’armée royale dans des combats qui s’étendent sur une période de sept ans.

La victoire de Cromwell à la bataille de Naseby, en 1645, est le tournant de la guerre civile.

La guerre s’achève à la fin de l’année 1648 par la victoire de Cromwell. Le roi est arrêté et traduit en jugement. Le procès du roi se déroule du 20 au devant un tribunal spécial constitué par la Chambre des Communes.

Le procès du roi, qui se déroule du 20 au 27 janvier 1649 (le roi est de dos, au centre de l’image)

Voici des extraits de l’acte d’accusation du Parlement.

«Ledit Charles Stuart, admis au trône d’Angleterre, avait été en conséquence investi d’un pouvoir limité pour gouverner par et selon les lois du pays […] pour le bien et l’avantage du peuple, et pour la conservation de ses droits et libertés ; néanmoins, dans l’intention perverse d’ériger en sa personne un pouvoir illimité et tyrannique […], et de détruire les droits et libertés du peuple, […] Charles Stuart […] a traîtreusement et malicieusement pris les armes contre le présent Parlement et le peuple qu’il représente […]. Et cette guerre cruelle et dénaturée […] a causé l’effusion du sang innocent de beaucoup d’hommes libres dans la nation et la ruine de nombreuses familles, a épuisé le Trésor public […].»

Et la défense du roi :

«Rappelez-vous que je suis votre roi, votre roi légitime; songez quels péchés vous amassez sur vos têtes […]. C’est à moi de défendre la liberté de mon peuple plus qu’à aucun de ceux qui sont venus ici pour être mes prétendus juges. Faites-moi connaître par quelle autorité légitime, je suis ici et je vous répondrai. Autrement, je ne répondrai pas […].»

Enfin, la sentence est prononcée :

« Attendu que les Communes d’Angleterre, réunies en Parlement, ont nommé la présente Haute Cour de justice pour faire le procès à Charles Stuart, roi d’Angleterre, qui a été amené trois fois devant elle ; que la première fois, on lui a lu l’acte d’accusation qui le charge, au nom du peuple d’Angleterre, de haute trahison et autres crimes et méfaits […] Pour toutes ces trahisons et crimes, la Cour prononce que ledit Charles Stuart, en qualité de tyran, de traître, de meurtrier et d’ennemi public sera mis à mort, en séparant sa tête de son corps. »

Compte rendu du procès de Charles Stuart.

Charles 1er est décapité à Whitehall, près de Westminster, le , à l’âge de 48 ans (tableau ci-dessus).

La Chambre des lords est supprimée le et la royauté est abolie le 8. Cet événement marque la fin de la Monarchie absolue en Angleterre mais il ne met pas fin aux troubles qui agitent le pays et qui vont se poursuivre jusqu’en 1689.

Portrait d’Oliver Cromwell par Samuel Cooper

Tandis que le fils de Charles 1er, réfugié en Hollande, se fait couronner roi d’Angleterre sous le titre de Charles II, Oliver Cromwell prend le titre de Lord Protector du Royaume d’Angleterre et entame un gouvernement de type dictatorial (bien qu’il porte le nom de République). Il commence par écraser la révolte d’Irlande et par écarter de la Chambre des Communes tous les parlementaires trop modérés (ceux qui étaient favorables à un compromis avec Charles 1er). Quatre ans plus tard, il met fin à ce qui restait du Parlement (on l’appelait le « Parlement croupion ») et commence à gouverner seul.

Au cours de ses onze années de dictature, Cromwell remporte des batailles importantes contre l’Espagne et contre la Hollande (qui est devenue l’un des principaux concurrents de l’Angleterre sur les mers grâce à sa puissante marine). Mais il est détesté par une partie des Anglais et, surtout, par l’essentiel de la noblesse. Aussi, peu après sa mort, en 1658, le Parlement anglais se réunit et passe un accord avec Charles II. La Monarchie est reconstituée, le fils de Charles 1er rentre en Angleterre et monte sur le trône.

Les années de guerre civile et de dictature ont divisé l’Angleterre et ont amené une bonne partie de la population à regretter la royauté. Le retour de Charles II se fait sous les acclamations.

Le conflit entre le nouveau roi et le nouveau Parlement recommence très vite, portant sur les mêmes différends que quinze ans plus tôt :

– l’indulgence excessive de Charles II vis-à-vis des catholiques (et la peur, au cas où il mourrait, que son frère, le duc d’York, lui-même catholique, monte sur le trône)

– les dépenses excessives du roi, qui nécessitaient de lever de nouveaux impôts

– la tendance du roi à accorder à ses proches des exemptions d’obéissances aux lois.

Le pays se divise alors en deux partis opposés : les « Tories » regroupant ceux qui soutiennent le roi et les « Whigs », partisans du Parlement. De nouveau la guerre civile menace. De nombreux incidents éclatent entre les deux camps, provoquant parfois des meurtres.

Une rencontre tendue entre un groupe de Whigs et un groupe de Tories (gravure anonyme de la deuxième moitié du 17ème siècle)

 

Portrait de Charles II par John Michael Wright vers 1661

Le roi ayant fait emprisonner des Whigs, le Parlement vote la loi de l’Habeas Corpus en 1679. Elle oblige à présenter devant les juges dans un délai de trois trois jour toute personne ayant été arrêtée afin « qu’ils certifient les vraies causes de sa détention ou de son emprisonnement; et sur quoi dans les deux jours […] devront libérer ledit prisonnier de son emprisonnement après avoir pris son engagement [de revenir devant le tribunal à la date de son procès] assorti d’une ou plusieurs cautions ». Autrement dit, on ne pourra désormais détenir en prison une personne qui n’aura pas été jugée coupable. Si les juges décident de traduire cette personne devant la justice, en attendant son procès elle restera libre (en échange du paiement d’une caution) [*]

En réponse, une nouvelle fois le Parlement est supprimé. Grâce au soutien de Louis XIV, Charles II arrive à financer les dépenses de sa cour ainsi que ses dépenses militaires [*]. Quand il meurt, en 1685, c’est son frère, le Duc d’York, qui monte lui succède sous le nom de Jacques II. Ainsi, la crainte des protestants anglais se concrétise : un roi catholique monte sur le trône.

Au cours de ses premières années de règne, Jacques II entreprend de restaurer la religion catholique en Angleterre. Cela le rend très impopulaire dans le pays et déclenche une deuxième révolution, connue sous le nom de « Glorieuse Révolution ».

Les Parlementaires réussissent à convaincre les Tories de ne plus soutenir ce roi. Ils s’adressent aussi en secret au Prince Guillaume d’Orange, qui était Stathouder des Provinces Unies [*] et qui avait épousé l’une des filles de Jacques II, ce qui faisait de lui un héritier potentiel en cas de décès ou d’empêchement du fils de Jacques II.

Guillaume d’Orange débarque en Angleterre avec son armée en novembre 1688. La plus grande partie de l’armée anglaise se rallie à lui. Abandonné de tous, Jacques II s’enfuit en France.

Le débarquement de Guillaume d’Orange en Angleterre en novembre 1688

 

Le Parlement vote alors l’attribution de la couronne d’Angleterre à Guillaume d’Orange à condition qu’il ratifie un texte de soumission au Parlement. Ce texte se nomme le Bill of Rights (1689) et il fixe une nouvelle répartition du pouvoir entre le Parlement et la royauté. En voici les articles principaux :

«Art. 1 – Le prétendu pouvoir de l’autorité royale de suspendre les lois ou l’exécution des lois, sans le consentement du Parlement, est illégal.

Art. 2 – Que le prétendu pouvoir de l’autorité royale de dispenser [quelqu’un] des lois ou de l’exécution des lois, comme il a été usurpé et exercé par le passé, est illégal ;

Art. 4 – […] Une levée d’argent pour la couronne […] sans le consentement du Parlement […] est illégale.

Art. 5 – […] C’est un droit des sujets de présenter des pétitions au roi et […] tous emprisonnements et poursuites en raison de ces pétitions sont illégaux.

Art. 6 – […] la levée et l’entretien d’une armée dans le royaume, en temps de paix, sans le consentement du Parlement, est contraire à la loi.

Art. 8 – Les élections des membres du parlement doivent être libres.

Art. 9 – Que la liberté de la parole, ni celle des débats ou procédures dans le sein du Parlement, ne peut être entravée […]

Art. 13 – […] Pour corriger, pour fortifier les lois et pour les maintenir, il est nécessaire de tenir fréquemment le Parlement.»

Guillaume d’Orange signe le Bill of Rights et monte sur le trône sous le nom de Guillaume III. C’est la fin d’un siècle d’affrontement entre le Parlement et la royauté en Angleterre, mais contrairement à ce que c’est produit en France, l’absolutisme a été vaincu. L’opposition entre Tories et Whigs va continuer à structurer la vie politique anglaise pendant encore très longtemps, mais désormais de manière pacifique, les Tories étant favorable à un pouvoir monarchique fort et les Whigs soutenant la prédominance du Parlement.

Un candidat à l’élection Tory (en noir) et un candidat Whig (avec la perruque) essayent de convaincre un bourgeois de voter pour eux. On voit qu’ils lui glissent des pièces dans la main (tableau de William Hogarth intitulé « Le scrutin », 1754).

L’article 8 du Bill of Rights, qui stipule que « Les élections des membres du parlement doivent être libres » est très important mais il ne doit pas laisser penser que l’Angleterre devient une démocratie. Le vote permet d’élire les membres de la Chambre des Communes. Les Lords continuent à être nommés par le roi.

Le vote se fait selon le suffrage censitaire. C’est-à-dire que seuls ceux qui payent un certain niveau d’impôt ont le droit de vote, autrement dit les plus riches. Il est également réservé aux hommes. Les électeurs ne sont que 250.000 sur une population d’environ 7 millions d’habitants.

De plus, les fraudes restent extrêmement nombreuses et les votants ne disposent pas d’isoloir. Tout le monde peut savoir ce qu’ils ont voté, ce qui constitue un pression, surtout dans les petites villes ou tout le monde se connaît.

Ce tableau de William Hogarth datant de 1755 (il fait partie de la même série que le précédent, consacré au scrutin électoral), tourne en dérision les élections en présentant toute une panoplie de fraudes, comme un aveugle (n°3), un mourrant que l’on amène au bureau de vote (n°4), un handicapé mental (n°5). Les drapeaux représentent les deux partis : bleu pour le camp Tory et orange pour le camp Whig. Le carrosse brisé (n°6) est le symbole d’une Grande-Bretagne en mauvais état.

Le système électoral reste donc très imparfait et très favorable à la noblesse et à la grande bourgeoisie, mais grace aux articles 5 et 9 du Bill of Rights, l’Angleterre bénéficie à cette époque d’une liberté de parole presque incomparable en Europe (seule la Hollande bénéficie d’une telle liberté). Cette liberté de parole s’exprime au moyen d’une presse en plein essor et surtout grâce à des lieux de sociabilité et de discussion que l’on trouve dans toutes les villes : les coffee-house, ancêtre des bars.

Une Coffee-House à la fin du 17ème siècle (dessin anonyme). On voit que les gens attablés commentent les journaux. On peut constater à leur habillement que ce sont des membres de la bourgeoisie mais il existait aussi des Coffee-houses beaucoup plus populaires..

Il existe aussi de nombreux clubs, espaces privés et payants où les gens se réunissent en fonction de leur catégorie sociale ou de leurs affinités.

Un club de la noblesse dans la seconde moitié du 18ème siècle. Pour faire partie d’un club il fallait être coopter, c’est-à-dire qu’au moins une personne déjà membre vous autorise à y adhérer. Là aussi on voit des gens en train de lire la presse.

 

Le nouveau système politique qui s’est mis en place en Angleterre au cours du XVIIème siècle s’appelle la Monarchie Parlementaire. Il fait l’admiration de la plupart des penseurs européens (comme Voltaire ou Montesquieu), qui le jugent le meilleur système politique du monde et en font le modèle à suivre dans les autres pays. Cela va grandement influencer les évolutions politiques de la France et des États-Unis au cours du XVIIIème siècle.

 

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