Introduction
La France connait de profondes mutations économiques et sociales au cours des 45 années qui séparent la naissance de la Troisième République de la Première Guerre mondiale.
– La conquête coloniale bat son plein, permettant à la France de constituer l’ un des empires coloniaux les plus étendus de l’époque mais suscitant des tensions aussi bien au sein de cet empire qu’avec les autres puissances coloniales.
– L’industrialisation atteint son apogée. Elle est la source de transformations importantes du territoire mais aussi de mouvements sociaux souvent violents.
– L’exode rural, commencé depuis le début du XIXème siècle, se poursuit lentement, entraînant une transformation des villes, en particulier les plus grandes. La France souffre d’une démographie anémique : contrairement à tous les autres pays économiquement développés, elle fait très peu d’enfant et sa population stagne, ce qui est la source de grandes inquiétudes et de débats agités sur la manière d’y remédier.
– Enfin, l’alphabétisation se généralise et, conjuguée avec les effets de l’urbanisation et de l’industrialisation, produit une transformation profonde de la culture et des arts.
Comment ces différentes transformations ont-elles influé les unes sur les autres, faisant de la France un cas original de transformation économique, sociale et culturelle au tournant du XXème siècle ?
TABLE DES MATIÈRES
a) Dénatalité précoce et exode rural tardif
c) Le poids de la classe ouvrière et l’émergence des classes moyennes
a) La contestation ouvrière et les premières avancées sociales
b) Des femmes en lutte pour leurs droits
c) Les tensions suscitées par l’expansion coloniale
1/ Une France en plein essor
a) L’essor économique
La France entre à partir des années 1870 dans ce qu’on a appelé la « seconde révolution industrielle« . Il s’agit en fait du prolongement de l’industrialisation, démarrée un siècle plus tôt, mais avec certaines nouveautés :
– Rôle déterminant joué par les nouveaux modes de transport : chemin fer ou bateau à vapeur dans un premier temps; automobile à partir des années 1895 ; avion au début du vingtième siècle
– Développement de l’industrie chimique (surtout dans les régions de Lyon et Grenoble)
– De nombreux nouveaux matériaux sont mis au point, comme les aciers spéciaux (acier inoxydable, acier ressort, etc.), l’aluminium, les colorants, la cellulose, la dynamite (inventée par Nobel, 1867), les engrais chimiques (Lieibig, 1870), le béton armé, etc.
– De nombreuses machines ou appareils sont inventés : le moteur à explosion, le moteur électrique, le réfrigérateur (1865), la machine à écrire (1876), le phonographe (Edison, 1877), l’appareil photo (1888), le tracteur (1892), etc.
– Rôle croissant de l’énergie électrique (d’abord seulement dans les vallées alpines, car on ne sait pas très bien transporter l’électricité) puis, au début du vingtième siècle, rôle du pétrole, qui va lentement remplacer le charbon (mais ce dernier restera beaucoup utilisé jusqu’aux années 1950)
– Développement d’entreprises de plus en plus puissantes, employant des milliers d’ouvriers (voire des dizaines de milliers pour certaines), qui travaillent sur des marchés mondiaux (on les appellent les multinationales) et qui sont le plus souvent des sociétés anonymes par action, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas un propriétaire précis (d’où le terme « anonyme ») mais appartiennent à des centaines ou des milliers d’actionnaires, chacun, possèdant une certaine partie de l’entreprise (proportionnellement au nombre d’actions qu’il détient). La société Schneider crée le premier complexe industriel de France au Creusot (près de Saint-Étienne). Il s’agissait au départ d’une fonderie royale fabricant des canons pour l’armée du roi. Elle se diversifie ensuite en fabricant toutes sortes de production en fonte, fer ou acier, allant des rails de chemin de fer aux armements en passant par les plaques d’égout ou les locomotives.
– Apparition de nouveaux modes d’organisation des usines, comme le Taylorisme
et le Fordisme , qui vont se répandre en France à partir du début du 20ème siècle, et surtout après la Première Guerre mondiale. Le fonctionnement du Fordisme a été représenté au cinéma par Charlie Chaplin dans son film « Les temps modernes ».
VIDÉO : Extrait des Temps Modernes (Charlie Chaplin, 1936)
Cette période de forte croissance économique qui voit la production industrielle augmenter de 1,7% par an en moyenne de 1896 à 1914 permet à la France de devenir la quatrième puissance économique mondiale à la veille de la guerre.
Cette puissance s’appuie sur plusieurs atouts :
– Une grande stabilité financière : la monnaie est très stable grâce au stock d’or considérable dont dispose le pays, ce qui a permis de maintenir le Franc à une valeur constante depuis sa création par Napoléon Premier en 1803. De plus, les Français manifestent une grande propension à l’épargne, c’est-à-dire qu’ils épargnent une partie importante de leurs revenus en la plaçant à la banque. Cela permet aux banques de disposer d’énormes réserves d’investissement qu’elles utilisent pour financer de grands projets comme le creusement du Canal de Suez ou du Canal de Panama, ou la construction des chemins de fer russes. Les grandes banques françaises d’aujourd’hui se constituent à cette époque. Leurs sièges sociaux sont des immeubles colossaux et richement décorés : des « cathédrales des temps nouveaux » pour le culte nouveau qui s’impose : celui de l’argent.
– C’est l’âge d’or de la sidérurgie lorraine (la production d’acier de la région est multipliée par 4 entre 1896 et 1913). La sidérurgie se développe aussi dans d’autres régions (comme au Creusot avec Schneider) et elle est alimentée par le charbon des mines du Nord et du Massif Central. Les industries nouvelles (électricité, aluminium, automobile et même cinéma) se développent particulièrement bien à partir du début du 20ème siècle.
– Les ingénieurs français sont à l’origine d’un grand nombre d’inventions industrielles. comme l’hélice, qui va équiper les navires à partir des années 1860 et les avions quarante ans plus tard, le moteur à explosion (mis au point par Dusaulx en 1870), le verre trempé (1874), l’oxygène liquide (1874), le carburateur, la machine à calculer, la photographie, les turbines à vapeur, le sous-marin, etc. La France dépose 9.000 brevets en 1890 ; 16.000 en 1910.
L’excellence industrielle française est mise en évidence lors de deux Expositions universelles, celle de 1889 (à l’occasion de laquelle est bâtie l’édifice le plus haut du monde : la Tour Eiffel) et celle de 1900 (pour laquelle on inaugure les premières lignes de métro et qui va attirer 50 millions de visiteurs du monde entier.
b) L’essor colonial
Sur le modèle des Expositions Universelles, où chaque pays vient présenter les trésors de son inventivité et vient faire miroiter sa puissance économique, plusieurs pays organisent aussi des expositions coloniales pour mettre en avant la richesse, la puissance et la diversité de leur empire. En France, de telles expositions sont organisées à Lyon en 1894, à Paris en 1906 ou à Marseille la même année. Il faut dire que la France a de quoi être fière : son empire, le second plus vaste du monde, s’étend de l’Indochine à la Guyane en passant par l’Afrique, les terres australes ou la Polynésie.
En 1939, l’Europe colonise 40% de la surface terrestre (la France et le Royaume-Uni représentent 85% du total à eux deux) :
L’Empire français, quoique plus modeste que l’Empire britannique , est le second par son importance, loin devant les autres empires coloniaux :
– 12 millions de km2 (plus de vingt fois la superficie de la France, mais dont une grande part de désert saharien)
– 70 millions d’habitants, c’est-à-dire plus que la France elle-même, qui en compte à l’époque environ 40 millions.
Cet immense empire a été édifié au moyen d’une conquête militaire qui a débuté en 1830 par l’expédition d’Algérie. C’est le début de ce que l’on va appeler le « Second Empire colonial français« . Le premier empire colonial dataient de l’époque de la monarchie mais il n’en restait plus que des vestiges comme les Antilles ou la Réunion. Conquis à l’époque de Louis XIII, il avait été perdu suite à de défaites militaires (perte du Canada en 1762), ou simplement vendu par le roi qui n’en mesurait pas l’importance (bassin du Mississippi vendu en 1762 par Louis XV ou Louisiane vendue en 1802 par Napoléon Bonaparte).
La conquête s’opère d’une manière extrêmement violente. Le viol et l’extermination gratuite des populations sont banales. Pour conquérir l’Algérie, dans les années 1830 à 1840, la France a envoyé une véritable armée (450 navires, plus de 35.000 soldats).
Au Mali, voici comment un officier raconte la prise de la ville de Sikasso après quelques jours de siège :
« Après le siège, l’assaut… On donne l’ordre du pillage. Tout est pris ou tué. Tous les captifs, 4000 environ, rassemblés en troupeau. Le colonel commence la distribution. Il écrivait lui-même sur un calepin, puis y a renoncé en disant : « Partagez-vous tout cela ». Le partage a eu lieu avec disputes et coups. Puis, en route ! Chaque européen a reçu une femme à son choix… On a fait, au retour, des étapes de 40 km avec ces captifs. Les enfants et tous ceux qui sont fatigués sont tués à coup de crosse et de baïonnette… Les cadavres étaient laissés au bord des routes… Dans ces mêmes étapes, les hommes réquisitionnés en route pour porter le mil restent cinq jours sans ration ; ils reçoivent 50 coups de corde s’ils prennent une poignée du mil qu’ils portent. »
Ce témoignage est cité à l’Assemblée Nationale par le député Paul Vigné d’Octon, le 30 novembre 1900. Ce député, l’un des rares à dénoncer la colonisation , a fait une enquête sur le sujet et interrogé des officiers français. Pourtant, son intervention ne va rien changer. Le gouvernement, au contraire, accentue ses efforts pour s’emparer des derniers territoires indépendants d’Afrique (le Maroc est particulièrement convoité dans ces années-là) mais la manière dont la presse présente la conquête coloniale est complètement différente de la réalité. Les soldats français y sont présentés comme des héros qui affrontent un grand danger dans un milieu hostile. Presque aucune mention des crimes n’est faites .
La conquête coloniale est encouragée par le gouvernement français malgré son coût très important car elle est un instrument de puissance diplomatique et géopolitique : avoir beaucoup de colonies est une marque de puissance et cela permet d’avoir des bases militaires sur les différents continents et océans, donc de mieux contrôler les routes maritimes ou de pouvoir facilement intervenir militairement sur des lieux éloignés. Ces préoccupations sont soulignées par Jules Ferry, qui ne fut pas seulement le promoteur de l’école gratuite, laïque et obligatoire, mais aussi le ministre des colonies de 1883 à 1885. Voici ce qu’il déclare dans un discours qu’il prononce devant l’Assemblée Nationale le 28 juillet 1885 :
« Je dis que la politique coloniale de la France, que la politique d’expansion coloniale, celle qui nous a fait aller, sous l’Empire, à Saïgon, en Cochinchine, celle qui nous a conduits en Tunisie, celle qui nous a amenés à Madagascar, je dis que cette politique d’expansion coloniale s’est inspirée d’une vérité sur laquelle il faut pourtant appeler un instant votre attention : à savoir qu’une marine comme la nôtre ne peut pas se passer, sur la surface des mers, d’abris solides, de défenses, de centres de ravitaillement. (…) Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, (…) c’est abdiquer, et, dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c’est descendre du premier rang au troisième et au quatrième… »
D’autres arguments sont utilisés par Jules Ferry pour justifier la colonisation, en particulier celui des débouchés économiques. En effet, suite à la grave crise économique qui a éclaté en 1873, et qui n’est pas encore terminée, la plupart des puissances économiques mondiales se referment sur elles-mêmes, abandonnant le libre-échange et revenant au protectionnisme, ce qui pénalise les exportations françaises. Avoir des colonies permet donc d’écouler les produits de l’industrie et de l’agriculture française. Enfin, son dernier argument concerne le rôle « civilisateur » de la colonisation :
« Messieurs, il y a un second point, un second ordre d’idées que je dois également aborder (…) : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question. (…) Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. (…) Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. »
Sur ce sujet, la plupart des députés sont d’accord. Seuls les socialistes et quelques radicaux dénoncent ce point de vue. Par exemple Clemenceau affirme qu’« au nom de la justice et de la civilisation des violences et des crimes ont été commis ». Il considère que la conquête coloniale, loin d’être un droit ou un devoir, est un abus de la force et il estime que ces théories servent de prétexte pour justifier une politique propice au pillage. C’est une opinion alors peu répandue.
L’immense majorité des Occidentaux est convaincue, à cette époque, que la « race blanche » est effectivement supérieure aux autres et ces théories sont mêmes l’objet d’études qui tentent de prouver scientifiquement cette supériorité, par exemple en comparant les crânes d’individus de différentes origines. Cette pseudo-science appelée phrénologie considère que les Africains et les Asiatiques sont moins évolués que les Européens.
Cette soi-disant « superiorité de l’homme blanc » s’exprime dans tous les domaines de la vie coloniale, mais particulièrement dans la manière dont les indigènes sont traités et considérés.
Dans la réalité, le rôle « civilisateur » de la colonisation va se réduire à peu de choses. C’est essentiellement un prétexte pour se donner bonne conscience. Toutefois, quelques écoles sont créés et l’Église entreprend d’évangéliser les populations. Il y a aussi quelques dispensaires qui sont ouverts, mais en nombre très insuffisant par rapport aux besoins des indigènes.
Les colonies fournissent aussi des matières premières et de la main d’œuvre bon marché, mais c’est un aspect secondaire qui, en réalité, rapporte assez peu d’argent à la France (bien que les expositions coloniales tentent de faire croire aux spectateurs que les colonies sont une source de richesses immenses). Sur le plan économique, les colonies intéressent moins les entreprises françaises pour les produits qu’elles fournissent que pour ceux qu’elles achètent. En effet, les colonies ont interdiction de se procurer le moindre produit autre part qu’en France. L’Allemagne, l’Angleterre ou les États-Unis ne peuvent ainsi vendre ni nourriture, ni tissu, ni machine aux colonies françaises, quand bien même leurs produits seraient moins chers ou de meilleurs qualité que les produits français.
La mise en valeur économique des colonies prend le plus souvent la forme d’un pillage pur et simple et entraîne de nombreuses violences ou excès : travail forcé, déportation de population, ainsi que des répressions brutales à la moindre tentative de résistance.
Le travail forcé ne doit pas être confondu avec l’esclavage. Les travailleurs forcés sont souvent rémunérés même si leur rémunération est ridiculement faible, qu’on les paye souvent en nature, par exemple en riz, en sel ou en farine, et qu’on triche systématiquement sur ce qui leur est dû, par exemple avec des balances faussées qui leur font croire qu’on leur donne dix kilo de sel quand on ne leur en donne que sept ou huit. Par contre, ils peuvent être battus s’ils ne travaillent pas assez, ils sont obligés de suivre le chantier même si celui-ci se trouve très loin de chez eux et ils n’ont pas le droit de refuser de travailler (généralement la justification est de dire qu’on va « leur faire mettre en valeur leur territoire car sont incapables de le faire par eux-même sans l’aide des blancs »). A part dans quelques rares colonies portugaises, l’esclavage n’est plus pratiqué, au sens où les colons ne sont pas réellement propriétaires de ceux qui travaillent pour eux. En revanche, il existe des formes de domination de type « domestique » (notamment sur le plan sexuel, mais cela existe aussi dans les pays européens entre les bourgeois et leurs domestiques).
Au Congo Belge, on note un cas particulier : toute la colonie (grande comme quatre fois la France) est la propriété privée du roi de Belgique. Il y organise de grands safaris. Toute la population du Congo est donc la propriété du roi et est soumise à un travail forcé dans des conditions abominables, avec des châtiments d’une violence inouïe, comme le montre la photo ci-dessous (personnes sensibles, fermez les yeux) :
Les colonies françaises sont à peine moins brutales que le Congo Belge. Voici un témoignage qui raconte comment les compagnies qui exploitent le Congo français traitent la population :
« Le Congo français est ainsi partagé en 40 concessions [qui] instaurent le travail forcé pour l’exploitation du caoutchouc. La population, réticente, est contrainte par les armes. Les hommes doivent travailler neuf mois sur douze pour la compagnie sans revenu. Les villages ne peuvent plus cultiver suffisamment pour leur propres besoins aussi la mortalité monte en flèche ; les compagnies accordent donc aux indigènes 3 jours par mois pour cultiver leurs champs. Mais la cueillette du caoutchouc est souvent si éloignée des villages que les hommes ont à peine le temps d’y retourner. Les malades et les petits enfants, restés au village, y mourraient de faim. J’ai visité plusieurs fois une région où les moins malades achevaient les plus atteints pour les manger ; j’y ai vu des tombes ouvertes où les cadavres avaient été enlevés pour être mangés. Des enfants squelettiques fouillaient les amas de détritus pour y chercher des fourmis ou autres insectes qu’ils mangeaient crus. Des crânes, des tibias, traînaient aux abords des villages. » R.P. Daigre, « Oubangi-Chari, témoignage sur son évolution (1900-1940), Dillen et Cie, 1947
Le chantier illustré par la photo ci-dessus fut l’un des plus meurtriers de toutes les colonies françaises à cause du paludisme qui faisait rage dans les zones traversées. Les hommes réquisitionnés pour ce travail venaient d’autres régions (parfois très lointaines) et n’étaient pas du tout immunisés contre la maladie.
La construction de cette voie ferrée ne doit pas laisser croire que les puissances colonisatrices ont réalisé beaucoup d’aménagements dans leurs colonies. Elles se sont généralement limités à quelques axes essentiels (surtout pour faciliter l’exploitation des richesses et le contrôle du territoire). C’est seulement après la Première guerre mondiale (et encore plus après la Seconde) que de vrais efforts seront faits pour soigner et éduquer les populations et pour aménager le territoire.
Dans les années 1880 à 1914, plus que l’aménagement ou l’exploitation des colonies, la priorité est à l’achèvement de la conquête : il ne reste plus beaucoup de territoires « disponibles » (c’est-à-dire qui ne sont pas déjà colonisés) et il y a de plus en plus de pays qui souhaitent avoir leur propre empire, notamment l’Italie et l’Allemagne, arrivées un peu plus tard dans la course et qui veulent aussi leur part du gâteau. Une véritable « course aux colonies » s’engage pour la conquête de l’Afrique.
Face à la multiplication des incidents opposants des puissances européennes et risquant d’entraîner une guerre, une grande conférence est organisée en 1884 : la Conférence de Berlin. Les participants tentent de fixer des règles au partage colonial de l’Afrique :
- toute puissance européenne occupant une portion du littoral africain a le droit d’étendre son territoire vers l’intérieur aussi loin qu’elle ne rencontre pas la zone occupée par une autre puissance
- une souveraineté sur un territoire ne peut-être reconnue qu’à condition qu’il y ait occupation réelle du terrain ; il ne suffit pas d’y planter un drapeau
- toutes souveraineté doit résulter de traités signés avec les indigènes et rendus publics
De nombreux accords bilatéraux sont signés afin de régler les principaux litiges et certaines frontières sont redessinées afin de mettre fin à une dispute entre plusieurs puissances coloniales (ce qui explique les frontières rectilignes entre certains pays d’Afrique)
Malgré les règles fixées à la Conférence de Berlin, plusieurs incidents graves émaillent les années 1898 à 1911. Le premier concerne la conquête du Soudan, le second la conquête du Maroc.
L’incident de Fachoda » (1898) oppose la France au Royaume-Uni pour l’occupation du Haut-Nil (Sud du Soudan). La France tente de relier ses possessions de l’Afrique centrale (un ensemble nommé Afrique Équatoriale française ou AEF) à ses possessions orientales (le territoire de Djibouti). L’Angleterre, elle, essaye de relier ses possessions du Nord (Égypte) à ses possessions du sud de l’Afrique (l’Afrique australe). Inévitablement la route des deux puissances se croise. Cela se produit au niveau du Soudan, près d’un lieu nommé Fachoda.
Le capitaine Marchand, qui commande l’expédition française, est le premier sur place mais il dispose de peu d’hommes et ne peut laisser des troupes pour garder les lieux. Lorsque les troupes de l’Anglais Kitchener arrivent à Fachoda, elles arrachent le drapeau français et font valoir le principe édicté à la Conférence de Berlin selon lequel une souveraineté sur un territoire ne peut-être reconnue qu’à condition qu’il y ait occupation réelle du terrain.
La tension monte rapidement entre les deux gouvernements. La France et l’Angleterre sont prêtes à se faire la guerre pour ce bout de désert mais un accord secret est finalement trouvé. Si la France laisse le Soudan à l’Angleterre, celle-ci aidera la France à s’emparer du Maroc et la soutiendra face à la menace allemande. La presse française, qui ignore cet arrangement, présente l’affaire comme une agression britannique. Sur la Une du Petit Journal ci-dessous, l’Angleterre est caricaturée en Grand méchant loup qui s’apprête à dévorer le Petit chaperon rouge français.
Le Maroc est convoité par de nombreux pays, mais l’Allemagne et la France sont les deux puissances les plus engagées dans cette rivalité. Depuis 1904, la France et l’Allemagne essayent de convaincre le sultan du Maroc Moulay Abd al-Aziz de signer un traité de protectorat. C’est une forme de colonisation dans laquelle la colonie conserve une part d’autonomie et, notamment, son propre gouvernement. Cela permet à la puissance coloniale d’exploiter les ressources du pays en échange d’une protection militaire contre d’éventuels agresseurs.
En 1905, les efforts de l’Allemagne pour convaincre le sultan de signer ont déjà provoqué une vive tension avec la France, qui avait découvert que les Allemands essayaient en secret de les évincer du Maroc.
En 1911, la France profite d’une révolte d’une tribu marocaine contre le sultan pour faire débarquer des troupes importantes au Maroc sous prétexte d’aider le sultan à rétablir l’ordre. L’Allemagne ne veut pas se laisser écarter par la France : elle amène une partie de sa flotte de guerre dans le port d’Agadir. Une guerre franco-allemande est sur le point d’éclater. Cette crise est nommée « L’incident d’Agadir » (1911). Finalement, après de longues négociations et sous la pression du Royaume-Uni, qui prend le parti de la France, l’Allemagne renonce au Maroc en échanges de divers territoires d’Afrique équatoriale : la France lui cède des morceaux du Gabon, du Congo et de l’Oubangui. Grâce à cela, l’Allemagne double la superficie de sa colonie du Cameroun mais elle abandonne tout espoir de mettre un pied au Maroc.
A cette date, la France a complété son empire africain et ne fera plus d’autres conquête par la suite. Il ne reste de tout façon qu’un pays indépendant en Afrique, l’Éthiopie, qui sera conquise en 1936 par l’Italie de Mussolini.