THE BEATLES – SGT PEPPER’S LONELY HEARTS CLUB BAND (1967)

Tout a déjà été dit sur Sgt Pepper’s. Même la notice Wikipédia est une mine d’information sur cet album.
Dans les classements des meilleurs albums de tous les temps, qui fleurissent régulièrement dans les revues spécialisées ou sur Internet, il figure à peu près toujours dans le top 10. En même temps, beaucoup de puristes des Beatles affirment préférer « Revolver », l’album qui le précède, ou bien le double blanc, qui lui succède. En tout cas, c’est bien le signe que ces années 1966-1968 marquent le pic de la créativité des Beatles.
Moi, je suis un inconditionnel de Sgt Pepper’s, loin devant tous les autres albums du groupe. C’est-à-dire que « Revolver », « Rubber Soul » ou « Abbey Road » ne sont que des disques exceptionnels. Sgt Pepper’s est encore au-delà.

Déjà, il y a mon histoire personnelle avec ce disque.
C’est le premier album de rock que j’ai écouté dans ma vie.
Petit, je n’avais pas d’appareil pour écouter de la musique dans ma chambre. En tout et pour tout, il n’y avait dans toute la maison qu’un gros électrophone Dual qui trônait dans le salon, posé sur une sorte de buffet. Ce dernier servait à la fois de bar à alcools et d’espace de rangement pour les disques vinyles. Il en contenait une grosse centaine, dont quelques 78 tours; le plus grand nombre étaient des disques de jazz ou de chanson française : Brel, Brassens, Barbara étaient bien représentés, mais aussi Thelonious Monk ou Miles Davis, ainsi que des disques de musique des Andes ou quelques symphonies de Beethoven et sonates de Mozart.

BEATLES (THE) - Sgt Pepper's (inside)

Il y avait aussi ce disque à la pochette chatoyante, qui s’ouvrait sur une grande photo de quatre joyeux troubadours en costume de fanfare.
Un jour, je finis par atteindre l’âge de poser moi-même le disque sur l’électrophone. Il n’y avait pas grand chose à faire d’autre que de poser le disque car c’était un électrophone automatique. On appuyait sur le bouton et le bras venait se poser tout seul au bon endroit.
A vrai dire, aussi simple que soit la manœuvre, l’électrophone ne servait pas souvent. Avant que j’en devienne le maître et seigneur, il devait rarement s’écouler moins de trois mois entre chaque disque joué sur cet appareil. Tout au plus me souviens-je d’y avoir entendu le dernier album de Renaud (« Marche à l’ombre ») que mon père avait acheté, et peut-être parfois du Brassens ou des musiques des Andes.

Avec sa pochette hors du commun, il était inévitable que Sgt Pepper’s soit le premier disque que j’ai envie de poser sur cette platine. Je ne suis pas sûr de l’âge que j’avais lorsque cela se produisit, mais je pense que je ne devais pas avoir plus de 9 ou 10 ans.
Ce dont je me souviens parfaitement, en revanche, c’est de ce bruit d’orchestre en train de s’accorder qui débute l’album. Pendant très longtemps (jusqu’à l’âge adulte, en fait) j’ai cru qu’il s’agissait d’un véritable orchestre qui jouait en même temps que les Beatles et pas d’un simple bruitage. Je me souviens aussi que la chanson « Within’ without you » fut la seule qui ne me plut pas. Je me souviens enfin d’avoir été marqué par les bruits d’animaux qui ouvrent la reprise de la chanson « Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band ».
Les souvenir sont vagues, en fait, mais l’impression d’ensemble est parfaitement nette. J’ai adoré cette musique dès la première écoute. Elle est entrée en moi avec l’évidence des accords parfaits. Est-ce mon inexpérience musicale, qui faisait de moi un terrain vierge de tout préjugé, je ne sais pas, mais en tout cas, cette musique ne m’est absolument pas apparue complexe ni étrange. Elle me paraissait couler littéralement de source.
Je crois avoir écouté le disque plusieurs fois à la suite et l’avoir réécouté presque tous les jours suivants pendant un certain temps.
Peu de temps après, ma mère et mon père constatant que j’aimais le rock ont eu l’idée de m’offrir un lecteur de cassette ainsi que deux cassettes : le premier album d’Elvis Presley et une compilation de Chuck Berry. Je crois qu’ils auraient pu trouver bien pire, comme sélection musicale, et je les remercie du fond du cœur de m’avoir ouvert cet univers.
J’ai appris plus tard que c’est ma mère qui avait acheté le disque Sgt Pepper, vers 1970. Elle avait découvert les Beatles avec quelques années de retard et ne possédait que cet album, mais je n’ai jamais su pourquoi celui-ci et pas un autre.
Cependant, il s’agissait donc d’un pressage original (que je possède toujours, hin, hin, hin!!) avec sa planche de carton sur laquelle figuraient la moustache, les galons de sergent et les badges.

BEATLES (THE) - Sgt Pepper's (bonus)
En revanche, il a fallu que j’attende les années 90 et la publication de Sgt Pepper’s en CD pour que je découvre les dernières secondes d’enregistrement du disque. En effet, avec le système de retour automatique du bras dont notre électrophone était équipé, le bras revenait avant la lecture de l’ultime sillon. M’ont donc échappés jusqu’à ce que j’atteigne l’âge avancé de 22 ans, le sifflement strident que Lennon avait inclus pour faire aboyer les chiens ainsi que le sillon sans fin laissant entendre les Beatles dire « He never kissed me any other way / is he any other way » (ou quelque chose dans ce genre).

On a dit de ce disque qu’il était l’album de Paul McCartney plus que celui des Beatles parce qu’il en avait conçu le projet (ce qui est vrai) et composé la plupart des chansons (ce qui est faux).
Les chansons les plus marquantes sont presque toutes de Lennon, à l’exception de « When I’m sixty four » (que Lennon détestait), de « With a little help help from my friends » (qui est une des rares compositions communes de John et de Paul) et de « Within without you » (écrite et chantée par George).
« Lucy in the sky with diamond », « Being for the benefit of Mr Kite » et « A day in the life » sont, à mon sens les œuvres les plus remarquables du disque. Elles sont toutes de John.
Cependant, les compositions de McCartney ne sont pas à négliger. D’abord, il est l’auteur du magnifique pont de la chanson « A day in the life »; ensuite, « Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band » (la chanson) est un sacré morceau d’introduction (d’ailleurs reprise par Jimi Hendrix le lendemain même de la sortie du disque!); « When I’m sixty four » n’est peut-être pas un chef d’œuvre immortel, mais elle a cette qualité typiquement McCartneyienne, une fois entrée dans votre tête de ne plus jamais en sortir; enfin, « She’s leaving home » est peut-être l’une des deux ou trois plus belles chansons écrites par Paul dans toute la carrière des Beatles (d’ailleurs avec a little help de John sur les choeurs); « Getting Better », « Fixing a Hole » et « Lovely Rita » sont de très bonnes chansons, largement du niveau des albums « Revolver » ou « double blanc », mais qui n’ont rien de fondamentalement novatrices ni d’envoûtant. Bref, si McCartney a été le plus productif de l’album (avec 6 chansons à son actif contre 4 pour John et une écrite en commun), l’apport musical de John est certainement plus marquant et l’osmose entre les deux hommes reste à cette époque encore indéniable, en dépit de l’apparition de Yoko Ono et des premières frictions.

Sgt Pepper’s est en ce sens le dernier album des Beatles en tant que groupe, ce qui est paradoxal si l’on songe qu’il fut pensé comme un album du groupe « Sgt Pepper’s Lonely Heart Club Band » et pas comme un album des Beatles. A part « Within You Without You », qui annonce déjà les routes divergentes qu’ils vont prendre, tous les titres ont été travaillés ensemble, même « She’s leaving home », où l’on entend pourtant aucun instrument des Beatles, sonne comme une chanson des Beatles et pas comme une chanson de Paul McCartney.
Peu après la sortie du disque, Paul, John et George commencent à éprouver de la lassitude au sein du groupe, la présence de Yoko Ono se fait de plus en plus manifeste, Brian Epstein meurt, privant les Beatles d’une sorte de père de substitution qui leur permettait peut-être de se sentir encore une famille. Enfin, le voyage en Inde va achever de leur faire prendre conscience des évolutions divergentes de leurs personnalités. L’album suivant (en partie composé lors du voyage en Inde) ne sera plus un album des Beatles mais un album de Paul, John et George, with a little help from Ringo.
C’est peut-être aussi ce qui fait de l’album Sgt Pepper’s un disque aussi précieux : il est à la fois l’apogée d’un groupe et le dernier moment d’unité avant que celui-ci ne s’engage sur la lente voie de la désagrégation.

La pochette de l’album Sgt Pepper’s a constitué un bouleversement aussi important que la musique qu’elle renfermait. Très tôt, elle a été copiée et détournée. Il en existe aujourd’hui des dizaines de versions, dont voici quelques exemples (de nombreux autres exemples peuvent être trouvés ici).

Mais le détournement que je préfère est celui réalisé pour l’artiste japonais Jun Fukamachi en 1977. Celui-ci a publié chez EMI une version électronique de Sgt Pepper’s sous une pochette reprenant les mêmes personnages que l’originale, mais tous vus de dos :

BEATLES (THE) - sgt peppers (reverse)

BEATLES (THE) - sgt peppers (joelanta)  BEATLES (THE) - sgt peppers (simpsons)

La version des Mothers of Invention, de Frank Zappa, pour l’album « We’re in it for the money » est l’une des plus anciennes et des plus amusantes.

BEATLES (THE) - sgt peppers (zappa & mothers)

5 Commentaires

  1. Bernard

    Fantastique album, en effet. Un des premiers que j’ai écouté et acheté (version K7), je n’avais pas de tourne disque. Le premier étant Help.

    Cordialement

    Répondre
  2. Derek

    C’est également un des premiers albums qu’un oncle rock-mélomane m’a fait découvrir vers l’âge de 10 ans, ensuite sont arrivés, Deep Purple, le glam rock, etc… Mais quelque part ce disque là reste l’oeuvre qui a ouvert mes, comme le disait Zégut, cages à miel à la musique rock…
    Quelques décennies plus tard et plus de trois mille cds plus tard, ce disque des Beatles reste une référence dans la collection musicale!

    Répondre
    1. ace (Auteur de l'article)

      Je crois que cet album a effectivement changé la vie de beaucoup de gens (à commencer par celle de Brian Wilson).

      Répondre
      1. Derek

        Et oui, l’autre album intemporel étant Smile (la symphonie pop) que j’ai eu la chance de découvrir à l’Olympia en 2004… Un énorme moment musical.

        Derek

        Répondre
  3. Tong

    Le premier album des Beatles que j’ai écouté fut paradoxalement leur dernier : Let it be. C’est ma mère qui l’avait acheté, je devais alors avoir 5 ou 6 ans ; et il m’a fallut attendre plusieurs années avant de découvrir les autres oeuvres du groupe grace à mon frère ainé. A contrario cet album m’a beaucoup moins marqué, probablement parce que j’avais déjà écouté certains des meilleurs morceaux dans les compilations (1962 1966 et 1967 1970).

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *