OK, vous avez lu le titre de cette chronique et vous vous êtes dit : « Je passe mon chemin, la variété c’est pas ma tasse de thé ». Si vous patientez quelques minutes, je vais essayer de réhabiliter l’honneur rock de Daniel Balavoine. Je sais, une pareille phrase semble assez incongrue, mais attendez, vous allez voir… j’ai quelques arguments.
La carrière de Daniel Balavoine a été marquée par un étrange paradoxe. A ses débuts sa musique est considérée comme trop rock par rapport à la mode ambiante dans la chanson française, ce qui lui ferme longtemps les portes du succès. Une fois célèbre, c’est l’inverse : les rockers le méprisent, l’accusant de faire de la variété.
Si l’on s’en tient à ses succès les plus connus, « Le chanteur » (1978), « Mon fils ma bataille »(1980), « Vivre ou survivre » (1982) et « L’Aziza » (1985), on peut être tenté de donner raison à ceux qui dénient à Balavoine le titre de rocker. Deux chansons à peine, parmi les quatre citées, peuvent s’apparenter à du rock, la première et la troisième de cette liste. Et encore, un rock très soft pour ce qui concerne « Le chanteur ». Les deux autres, aussi sympas soient-elles, ne sont pas du tout du rock et même des chansons comme « Le chanteur » ou « Vivre ou survivre » semblent complètement à contre-temps des modes musicales de la fin des années 1970 (effervescence du punk et de la disco) et du début des années 1980 (boom du heavy metal et du funk).
Examinons les causes du malentendu Balavoine.
Par son attitude et par ses choix musicaux des premières années, disons jusqu’en 1977, Balavoine s’inscrit indubitablement dans la mouvance rock. Il quitte le lycée au milieu de son année de terminale pour se lancer dans la musique et gagne un moment sa vie en jouant en public des reprises de Dylan, Deep Purple ou Uriah Heep. L’un de ses premiers groupes s’appelle « Purple Eruption », allusion transparente à Deep Purple.
Le groupe « Presence », dans lequel il joue pendant deux ans (mais qu’il n’a pas fondé) joue un rock assez énergique, parfois à la limite du hard rock (même s’il interprète aussi des chansons plus douces).
Si le groupe tourne beaucoup, ses tentatives de disques ne débouchent sur un 33 tour qu’en 1973, juste après que Balavoine ne l’ait quitté (au bout de deux ans) pour tenter une carrière en solo.
C’est là que la trajectoire de Daniel Balavoine commence à emprunter des voies tortueuses. Pour gagner sa vie il devient choriste d’artistes aussi peu suspect de faire du rock que la candidate à l’Eurovision 1976 ou le chanteur Patrick Juvet (mais c’est mal connaître le Patrick Juvet de cette époque).
Pourtant, Balavoine a réussi à convaincre de son talent Léo Missir, vice-président et directeur artistique de Barclay, ce qui lui a permis d’enregistrer son premier album solo, « De vous à elle en passant par moi » (1975). L’album est un flop total. A peine 10.000 exemplaires vendus. Insuccès assez étonnant rétrospectivement. L’album comprend au moins trois chefs d’œuvres : « Evelyne et moi », « Vis loin de moi » et « Couleurs d’automne » (auxquels on peut ajouter le single « Vienne la pluie »). D’autres chansons comme « Pauvre Nicolas », ou « Tes pieds toucheront par terre » sont aussi d’un très bon niveau.
On trouve sur ce disque d’excellents solos de guitare de Patrick Dulphy, des arrangements sophistiqués avec chœurs et orchestre et quelques morceaux construits sur des riffs très rock, comme « Tes pieds toucheront par terre ».
Il y a pourtant des raisons à cet échec, et la première est que la musique que propose Balavoine sur ce disque ne rentre dans aucune case de ce qui se vend à l’époque (du moins en France).
Le paysage de la musique populaire française se divise alors en trois grandes tendances.
– Les Yéyés, qui sont en train de prendre le tournant de la disco
– Les chanteurs à texte
– les rockers.
Balavoine ne veut rien avoir à faire avec la musique disco, même s’il travaille avec son ami Patrick Juvet, pour lequel il compose une bonne partie de l’album « Chrysalide » (1974). A cette époque, toutefois, Patrick Juvet n’a pas encore opéré son virage disco. En tout cas, pour ce genre de public, Balavoine reste trop rock.
On peut noter que Patrick Juvet, à cette époque, affirme être inspiré par les stars et la mode glam rock anglo-saxonne. Il chante avec un maquillage à la Ziggy Stardust et en 1975 il a traduit le Only Women Bleed d’Alice Cooper dans une version intitulée « J’ai peur de la nuit ».
Balavoine est exactement sur la même longueur d’onde. Son rock n’est pas celui des rockers français. Il n’emprunte pas au blues, ni à la Country, ni au rock’n’roll classique, comme Johnny Hallyday, Eddy Mitchell ou Mike Brandt. Du temps où il chantait dans Présence, sa musique n’était pas si éloignée de celle du groupe Téléphone, qui débutait à la même époque, mais il semble s’en être éloigné depuis qu’il a enregistré son premier album. Ses influences ne se trouvent plus chez Elvis, Chuck Berry ou Clapton, mais plutôt chez « Queen », « Bowie », « Elton John », « les Beach Boys » ou « Alice Cooper ».
A ceux que de telles comparaisons pourraient étonner, je conseille d’écouter le solo final de « Vienne la pluie », pas très loin de « Moonage daydream », de David Bowie, d’écouter « Evelyne et moi », petite symphonie typique du « Queen » des années 1974-1976, de noter le travail sur les voix de chansons comme « Pauvre Nicolas » ou « Vis loin de moi », pas si différent des Beach Boys ». Quant à Elton John, la parenté est évidente rien que du fait que la base principale de ses chansons soit fréquemment le piano, et non la guitare, et que les riches orchestrations soient assez proches du travail réalisé par Gus Dudgeon sur des albums comme « Don’t Shoot Me I’m Only the Piano Player » ou « Goodbye Yellow Brick Road ».
Il y a bien un chanteur français auquel on pourrait comparer le style musical du Balavoine des débuts, c’est Michel Polnareff. Le problème, c’est qu’à cette époque Polnareff est déjà considéré comme un génie et que Balavoine donne l’impression de l’imiter avec ses mélodies riches, sa voix aiguë et ses vocalises.
Dernier problème de Balavoine, ses textes abordent des sujets complètement étrangers à la variété française mais pas non plus assez engagés pour pouvoir être admis parmi les chanteurs à texte. Dans cette catégorie, Brassens, Brel, Barbara, Ferré et quelques autres sont plutôt en fin de carrière mais leur ombre plane encore sur le paysage musical français. Quant à la relève, on la trouve par exemple chez le jeune Renaud (premier album sorti en 1975, la même année que Balavoine).
Renaud apparaît beaucoup plus fidèle à l’esprit des grands anciens, et beaucoup plus engagé politiquement.
Les radios et les télés ne s’intéressent donc pas au disque de Balavoine, qui ne correspond pas à leur public.
La qualité de son premier album convainc cependant Leo Missir de permettre à son jeune protégé d’enregistrer un deuxième disque. Sorti en 1977, il porte le titre de « Les Aventures de Simon et Gunther… ». Il fait à peine mieux que son prédécesseur, avec 20.000 exemplaires vendus.
Les causes de cet échec sont sensiblement les mêmes que pour le premier album, auquel il ressemble encore beaucoup du point de vue musical. Les influences sont les mêmes. La chanson « Les Aventures de Simon et Gunther Stein » s’inspire de manière évidente de « Bohemian Rhapsody » (et avec presque autant de talent).
On trouve des chœur à la Beach Boys sur « La réponse ». La chanson titre, également très proche dans ses harmonies vocales du Queen de « The Millionaire Waltz », ou de « Good Old-Fashioned Lover Boy », emprunte aussi sa structure à « Some Folks », d’Alice Cooper (extrait de l’album « Welcome to my nightmare », 1975, d’où provenait déjà la chanson « Only women bleed », reprise par Patrick Juvet un peu plus tôt).
Il est d’ailleurs à noter que les arrangements de l’album rappellent assez ceux de Bob Ezrin, arrangeur des albums d’Alice Cooper depuis 1971 (et arrangeur également de Lou Reed sur l’album « Berlin »… quelle coïncidence, l’album de Balavoine raconte une histoire qui se situe entièrement à Berlin!). Aucun mystère là-dedans, le producteur de Balavoine est Andy Scott, un franco-anglais qui a travaillé sur les albums d’Elton John (Goodbye Yellow Brick Road), de Pink Floyd (Obscured by Clouds), de David Bowie (Pin Ups), de Cat Stevens (Catch Bull at Four) ou de T.Rex (Tanx).
Une autre raison de cet insuccès tient probablement au thème abordé par le disque. Il s’agit d’un opéra rock consacré au mur de Berlin. Il raconte l’histoire tragique de deux frères vivant à Berlin et séparé par le mur.
En cette fin des années 1970, le PCF est encore à plus de 15% de l’électorat et l’URSS n’a pas encore envahi l’Afghanistan, ce qui fait que les critiques de ce qui touche de près ou de loin le pays des soviets sont toujours risquées. Les choses vont changer deux ou trois ans plus tard, l’URSS devenant le sujet de détestation et de dérision universel (merci à Ronald Reagan pour avoir rendu populaire les blagues anti-soviétiques, il en racontait une nouvelle lors de chacun de ses discours au début des années 1980 et il qualifiait l’URSS d’Empire du mal). Mais c’est trop tard pour l’album de Balavoine, qui obtient de bonnes critiques de la part de Rock’n’folk mais qui chiffonne l’intelligentsia française.
Pour ceux qui n’ont jamais entendu cet album, je vous envie. Vous allez découvrir un vrai bijou du rock symphonique français. Les chansons « La porte est close », « Lady Marlène », « La lettre à Marie » ou la chanson titre n’ont rien à envier aux plus grandes réussites du rock anglais des années 1975-1977.
La lettre à Marie : arrangements à la Harpe, comme sur « Love of my life » de Queen, et performance vocale inouïe sur le refrain :
Malgré sa relative confidentialité, le disque connait quelques passages télé, notamment la chanson « Lady Marlène », ce qui permet à Michel Berger de flasher dessus et d’aussitôt engager Balavoine pour tenir le rôle principal de la comédie musicale qu’il est train d’écrire : Starmania.
Le personnage interprété par Balavoine s’appelle Johnny Rockfort. La chanson « Quand on arrive en ville » est indubitablement une chanson rock, de même que « Banlieue nord ». Un rock très orchestré, très léché, tout à fait en décalage avec l’esprit punk de l’époque, mais cette fois Balavoine a intégré une équipe de stars (Michel Berger, France Gall, Diane Dufresne…) et le succès est immense.
Reste pour lui à faire ses preuves en solo. Eddie Barclay, qui a toujours méprisé ce chanteur à la « voix de pédé » (dixit), devant le succès de Starmania, ne peut faire autrement que de donner une dernière chance au jeune artiste (il n’a que 26 ans). Ce sera l’album de la consécration : « Le Chanteur » (1978)
Pour beaucoup le meilleur album de toute sa carrière, et je ne suis pas loin d’être d’accord même si ma préférence va aux aventures de Simon et Gunther.
L’album « le Chanteur » est probablement suffisamment connu pour qu’il n’y ait pas besoin d’en parler longtemps mais le réduire à sa chanson titre serait très injuste. Il comprend plusieurs autres chefs d’œuvre, comme le diptyque « Les oiseaux », musicalement encore très proche de son album précédent avec son orchestration très sophistiquée. Notons aussi les très belles « Lucie », « Si je suis fou », « Le pied par terre » et « Oiseau de nuit ».
La chanson « C’est un voyou » est encore très inspirée par Queen (bien qu’avec un peu moins de réussite cette fois), mais les paroles contiennent le couplet suivant :
« J’ai pas voulu faire
Mon service militaire
J’voulais pas obéir à tous ces gens là
Et puis l’uniforme qu’ils m’ont proposé
N’était pas coupé pour moi
C’est tout
J’voulais garder mon blouson, m’ont foutu en prison:
C’est un voyou, voyou, voyou
Un objecteur, syndical, déserteur, c’est un fou »
On voit que Balavoine garde un réel engagement.
Ses paroles, de manière générale, paraissent toujours un peu bancales. Syntaxe approximative et choix des mots pas toujours très clair. Pour lui, il faut que les mots sonnent et qu’ils soient évocateurs, quitte à prendre quelques libertés avec la langue. En ce sens il est encore une fois très influencé par les chanteurs anglo-saxons.
Après « Le chanteur », Balavoine a du mal à retrouver un tel niveau d’inspiration. Les deux albums suivants, « Face amour / Face amère » (1979) et « Un autre monde » (1980) contiennent quelques bonnes chansons, et même un tube énorme, « Mon fils ma bataille », mais la qualité moyenne des chansons est très inférieure à tout ce qu’il avait écrit précédemment. J’avoue être beaucoup moins fan de ses albums des années 1980, qui me semblent avoir perdu leur originalité et leur ambition musicale. Qui sait si cette évolution vers une musique beaucoup plus consensuelle n’est pas la cause du désamour profond des amateurs de rock pour ce chanteur qui voulait à tout prix faire du rock.
Tout le monde sait comment est mort Balavoine. Même dans sa manière de tirer sa révérence, il aura réussi à être encore un peu dans l’esprit rock.