Les Japonais adorent le rock. Quand les Beatles sont venus au pays du soleil levant pour la première fois en 1966, ils ont déclenchés des émeutes et une hystérie semblable à la beatlemania qui sévissait en Angleterre. Leur passage au Budokan de Tokyo, le 30 juin, déclencha de violentes manifestations d’hostilité de la part des Japonais les plus conservateurs, qui y voyaient une profanation de ce temple des arts martiaux (c’était pour eux un lieu presque sacré au sens premier du terme). Mais le fait de laisser les Beatles jouer dans ce lieu révèle la très haute estime dans laquelle on tenait les Fab Four. Après eux, le Budokan devint l’étape obligée des grands groupes de rock à Tokyo.
Quelques années années plus tard, des groupes comme Deep Purple (en 1972), Scorpions (en 1978) ou Iron Maiden (en 1981) ont choisi d’enregistrer au Japon ce qui allait devenir pour chacun d’eux leur meilleur album live.
Entre temps, le Japon était devenu une étape obligée de tous les grands artistes du rock. De Bowie à Pink Floyd en passant par Santana, les Clash, les Beach Boys ou Queen, les bootlegs enregistrés au Japon se comptent par centaines. Les deux derniers groupes mentionnés ont même écrits des chansons partiellement en japonais en témoignage de gratitude envers la ferveur que ceux-ci leur vouaient. Il s’agit respectivement de « Teo Torriate » (sur l’album de Queen « A day at the races ») et de « Sumahama » (sur l’album des Beach Boys « The Light album »). Scorpions aussi, d’ailleurs, à inclus une chanson en Japonais sur Tokyo Tapes.
Ci-dessus un bootleg de Queen enregistré au Budokan de Tokyo en 1981. En dessous, Queen à Tokyo vers 1978.
Les concerts au Japon, lorsqu’on écoute ces bootlegs, ont une ambiance assez particulière : les spectateurs y sont beaucoup plus bruyants qu’ailleurs car ils crient et applaudissent tout le temps. Du coup, les enregistrement de source audience sont souvent assez pénibles à écouter.
David Bowie à Tokyo en avril 1973
Un autre éléments qui témoigne de la popularité du rock au Japon, c’est la nombres de rééditions de classiques du rock en version remasterisée qui y sont publiées. Longtemps ce furent des imports très chers et assez durs à trouver. Aujourd’hui, on peut les télécharger facilement sur Internet dans la plus grande (il)légalité. C’est ainsi que je me suis procuré l’intégrale remasterisée de Dead Can Dance, Roxy Music, Santana, Bowie, Neil Young, King Crimson et bien d’autres dont je ne me souviens même plus. Je n’allais quand même pas payer pour des albums que j’ai déjà acheté une fois en vinyle, une fois en CD et une deuxième fois en CD parce qu’ils avaient été réédités avec des titres bonus. Ma bonne volonté a des limites, de même que mon compte en banque. Et puis ça ne lèse que des petits hommes jaunes…
Si l’on jette un coup d’oeil à la page Wikipedia qui répertorie les « groupes de rock japonais » (https://en.wikipedia.org/wiki/Category:Japanese_rock_music_groups), trois choses sont frappantes :
1°) Il y en a des centaines
2°) La plupart ont des noms anglais
3°) Personne n’a jamais entendu parler d’aucun de ces groupes, ou presque.
Il y a pourtant un groupe japonais qui a rencontré un certain succès en Occident et qui mérite certainement que je lui consacre une chronique. Il s’appelle Loudness. C’est un groupe de Heavy Metal qui s’est formé en 1981 à Osaka. Il semble être le premier groupe japonais à avoir réussi à percer en Occident et notamment à être parvenu à faire entrer certains de ses albums dans les charts. Celui dont il sera question dans cet article a été classé pendant 23 semaines dans le top 100 aux États-Unis.
La date de naissance du groupe, 1981, est intéressante. Les deux principales influences de Loudness sont le groupe Van Halen et les groupes de New Wave of British Heavy Metal. Or le premier comme les autres n’ont commencé à acquérir une audience internationale que vers 1978. Tels les Beatles ou les Stones à l’affut de la publication de nouveaux albums de Rythm’ and Blues à la toute fin des années 1950, il faut imaginer, vingt ans plus tard, Akira Takasaki (guitariste), Minoru Niihara (chanteur), Masayoshi Yamashita (basiste) et Munetaka Higuchi (batteur), fouillant les bacs d’imports anglais chez les petits disquaires d’Osaka à la recherche des premiers albums de Saxon, Judas Priest ou Iron Maiden.
Si le nom que choisissent les quatre jeunes gens (tous âgés de 20 ans, sauf le batteur qui en a 23) est un mot anglais, cela ne les empêche pas de chanter presque exclusivement en japonais. Seuls parfois, une phrase du refrain est chanté en anglais, comme dans la chanson « Sexy Woman », sur leur premier album, où les mots « Sexy Woman » sont les seuls en anglais. Il en ira ainsi jusqu’à leur troisième album, « The Law of the Devil’s Land », sorti en 1983.
Même si les deux précédents (« The Birthday Eve », 1981 et « Devil’s Soldier » 1982) comportaient quelques bons morceaux, ce troisème disque marque une progression nette dans la qualité des compositions. Dans la foulée, le groupe sort un double album Live (Live Loud ALive, 1983).
La notoriété de Loudness, déjà bien établie au Japon, où ils sont considérés comme des stars (et comme le meilleur groupe de rock du pays) commence à atteindre l’Occident. En 1984, dans la foulée de son album « Disillusion », le groupe fait même une tournée aux États-Unis tandis que la presse spécialisée des pays occidentaux parle de plus en plus de ces hard rockers exotiques qui prétendent rivaliser avec les maitres du métal anglais et étasuniens, voire allemands (comme Scorpions ou Accept). Sur cet album, le titre instrumental « Explorer » est clairement un hommage au « Eruption » du premier album de Van Halen.
C’est précisément à cette époque que j’ai entendu parlé de ce groupe pour la première fois. Leur double album live, pourtant presque entièrement chanté en japonais, était considéré par mes copains de lycée fans de hard rock comme un excellent disque. Mais plus encore que cet album qui n’était alors disponible en France qu’en import japonais (et coûtait donc très cher), Bertrand Hébral, un gars de ma classe de première, m’a conseillé de me procurer le dernier album studio du groupe, qui venait de sortir. Il avait parfaitement raison. Cet album est une tuerie!
Le premier morceau, « Crazy Night », sonne peut-être un peu trop hard FM à la Def Leppard ou à la Mötley Crue, ce qui tombe bien vu le look de Loudness, très inspiré de celui du dernier des deux groupes mentionnés.
Mais passons sur le rythme un peu plan plan de son introduction. Ce qui frappe l’auditeur d’entrée, c’est surtout la puissance du son. De plus, lorsque arrive le solo de guitare, on réalise qu’on a pas affaire à un guignol à la Mick Mars. Si le morceau de Loudness a une certaine parenté avec le célèbre tube de Mötley Crue « Shout at the Devil », question technique, en revanche, il n’y a pas photo. Akira Takasaki (à gauche sur la photo ci-dessus) est un guitariste qui s’inspire visiblement de Van Halen (comme son illustre modèle, il est aussi bon en rythmique qu’en solo) et son shred n’est pas loin d’égaler celui de Yngwie Malmsteen.
Dernier élément frappant de ce premier titre du disque, c’est la voix particulière du chanteur. Il chante en anglais mais sa tessiture comme ses intonations sont très marquées par sa langue natale, ce qui confère un parfum assez exotique à toutes les chansons. D’après la critique du site All Music, Minoru Niihara commet des fautes d’anglais et son accent le rend à peine compréhensible par l’auditeur américain moyen.
La base rythmique (basse / batterie) ne se distingue pas par ses fioritures mais elle est super carrée et super efficace. Elle bénéficie d’une production sonore impeccable qui met en valeur tous les musiciens d’une manière équilibrée. Ce disque, qui est le premier de Loudness a avoir été enregsitré aux Etats-Unis, est produit par Max Norman, qui a aussi produits des albums d’Ozzy Osborne ou Megadeth. Il a fait ici un travail remarquable, qu’il va poursuivre et améliorer sur l’album suivant, « Lightning Strikes ».
Le deuxième morceau du disque donne le vrai départ de cet album. La rythmique y est tranchante comme une lame et rappelle les meilleurs heures de Van Halen. Le rythme est aussi beaucoup plus enlevé (sans toutefois s’apparenter à du speed metal, un domaine que Loudness n’a jamais exploré à ma connaissance).
Le troisième morceau, « Heavy Chance », commence comme une décalque de « Fade to black », de Metallica sauf que le chanteur pose sur l’intro acoustique des paroles qui qui pourraient évoquer quelque chant traditionnel japonais.
La rythmique de « Get Away » est impressionnante de dextérité », de même que celles « Run for your life » ou de « No way out » tout en contretemps et en changements de rythmes. Quant au riff de la chanson « Run for your life », la critique d’All Music en parle comme du riff le plus complexe de toute l’histoire du rock.
L’album s’achève par un slow dans la plus pure tradition du hard, « Never Change your mind », lui aussi caractérisé par des ruptures rythmiques très bien maîtrisées.
Par rapport aux albums précédents (notamment les très bons « Law of the devil’s land », 1983 et « Disillusion », 1984), dans « Thunder in the East » Loudness a fait le choix de simplifier ses compositions et de mieux travailler ses breaks et ses variations de tempo. Le résultat est d’une précision clinique tout en restant chaleureux et très accessible. Une chanson comme « We could be together » est assez emblématique de l’album : immédiatement accessible, très structurée, permettant de mettre efficacement en valeur les exploits guitaristiques d’Akira Takasaki. Plutôt que d’en parler, écoutons là donc :
Sur l’album suivant, « Lightning Strikes », enregistré également aux États-Unis l’année suivante et toujours avec Max Norman, Loudness semble tiraillé entre plusieurs options : d’un côté, poursuivre l’évolution entamée avec « Thunder in the East » vers un rock plus basique, plus FM diraient certains, ou bien revenir à des structures plus ambitieuses, comme sur leurs premiers disques. Ainsi, l’album hésite entre les deux options et alterne l’excellent (« Who knows », « Ashes in the sky », « 1000 eyes ») et le médiocre (« Face to face », « Complication »). Globalement un bon album cependant bien que moins cohérent que le précédent, qui ne comportait aucun mauvais morceau.
Après cela, malheureusement, le groupe va se révéler incapable de résister aux sirènes du succès commercial. Ses albums perdent peu à peu toute originalité. Le groupe finit même par engager un chanteur américain, l’ancien chanteur du groupe « Obsession » Mike Vescera. S’ensuit une valse des musiciens jusqu’à l’an 2000 où le groupe initial se reforme et retrouve un certain succès. C’est une période de sa carrière qu’honnêtement je ne connais pas vraiment et donc je ne sais pas si les albums de cette époque valent le coup, mais pour avoir frémi d’horreur en écoutant leurs albums des années 90, je préfère ne pas tenter l’expérience.