THE POLICE – OUTLANDOS D’AMOUR (1978)

Le problème avec Police (ou plutôt THE Police, puisque tel est son vrai nom), c’est qu’aucun de leurs cinq albums n’est bon de bout en bout. Tous comportent une tripotée de tubes, accompagnée de quelques chansons de remplissage, ou du moins de quelques titres assez faibles. Il est donc difficile de choisir le « meilleur album de police » car chacun a ses qualités et ses défauts.
D’après le titre de cette chronique, vous aurez deviné que je penche pour leur premier album, ce que je vais essayer de justifier un peu plus loin, mais en attendant, voici un petit rappel sur l’origine de ce groupe.

Le trio fondateur : Stewart Copeland, Henry Padovani et Gordon Sumner, alias Sting

Il est présenté sur la page Wikipedia comme un groupe londonien, ce qui est assez excessif puisque aucun de ses membres n’était londonien. Stewart Copeland et Henry Padovani, les deux fondateurs, n’étaient même pas britanniques : le premier était américain (enfin étasunien, originaire de Virginie) et le second français (enfin corse). Le bassiste qu’ils recrutent en 1977 pour compléter leur trio est originaire de Newcastle. Andy Summers, qui rejoint le trio quatre mois plus tard, est quant à lui originaire de Blackpool.

Très rare photo de Police en quatuor (ici au Festival Punk de Mont-de-Marsan)

Le quatuor ne dure que quelques semaines, le temps de donner deux concerts, dont l’un existe en bootleg : celui du Festival punk de Mont-de-Marsan aux côtés de The Clash ou The Damned. Une vidéo – d’assez mauvaise qualité – de ce concert peut être visionnée ici.

Après cela, la mauvaise ambiance causée par la mésentente entre Padovani et Summers convainc le premier des deux de s’en aller. Il l’a surement regretté amèrement, mais rien ne dit que s’il était resté (et que Summers était parti) le groupe aurait connu un tel succès. C’est en tout cas une situation classique des groupes de rock, il n’ya qu’à penser aux Beatles et l’éviction du batteur Pete Best ou bien à Metallica et la défection/expulsion de son premier chanteur (Dave Mustaine) et de son premier bassiste (Ron mCGovney).

La musique jouée par The Police est un mélange de jazz, punk et reggae, nous dit aussi wikipedia. C’est assez vrai et les origines de ce cocktail sont étranges. Sting est le seul a avoir joué dans un groupe de jazz (« last Exit »). Copeland, lui, a fait ses armes dans un groupe de rock progressif (« Curved Air »). Andy Summers (plus vieux que ses compères de presque 10 ans) a déjà eu une carrière musicale assez éclectique avant d’intégrer le groupe, jouant à peu près de tous les genres mais nouant des contacts surtout dans le rock progressif (il est ami de Robert Fripp et de Mike Howlett (bassiste de Gong) et il a joué avec Kevin Ayers, Mike Oldfield ou Jon Lord).

Andy Summers, plus vieux de dix ans que ses trois compagnons, a déjà beaucoup bourlingué (musicalement parlant) quand il intègre le groupe en août 1977

Padovani jouait du rock dans différentes petites formations avant de rencontrer Copeland à Londres et de décider de se lancer avec lui. Pourquoi ont-ils eu envie de monter un groupe punk ? Sûrement parce qu’on était en 1976 et que les Sex Pistols et les Damned venaient d’éclore. Pourquoi y ont-ils insufflé une bonne dose de reggae ? Je n’ai pas trouvé d’explication définitive de ce point mais disons qu’en 1976-1977 la carrière de Bob Marley est à son apogée et que, d’autre part, dès la première fois où ils ont joué ensemble, Sting et Copeland ont ressenti une parfaite alchimie, alchimie qui, dans leurs disques, n’est jamais aussi évidente que dans les rythmiques reggae.
Le nom du groupe, enfin, s’explique par deux facteurs. D’abord, l’idée vient de Copeland, dont le père travaillait pour la C.I.A. C’était aussi une sorte d’oxymore : donner à un groupe punk (donc supposé anarchiste) le nom de The Police constituait une amusante provocation.

« Fall out », single totalement punk de Police et seul disque du groupe figurant Padovani à la guitare. Le damier noir n’est pas sans évoquer des groupes comme The Specials (fondé en 1977) ou Madness (1976), eux aussi au confluent du reggae et du punk.

Après un premier album enregistré dans des conditions assez fauchées (malgré le soutien du père de Copeland) et dont la publication est compromise par la censure de ses deux titres phares (« Roxanne » pour cause d’indécence – ça parle d’une prostituée ; « Can’t stand losing you » car elle aborde le thème du suicide), le groupe part en tournée aux Etats-Unis dans des petits clubs où il rencontre un accueil mitigé, n’ayant ni album, ni single marquant derrière lui. Ces premiers concerts sont pourtant pleins d’énergie et valent souvent le coup, comme on peut le constater par exemple avec celui donné au Rathskeller de Boston le 29 octobre 1978.

La tournée des petits clubs des Etats-Unis en 1978

Pendant ce temps les radios pirates font tourner « Roxanne » en boucle, ce qui convainc finalement A & M, leur maison de disque, de sortir l’album (six mois après l’enregistrement).

Entre temps, le groupe travaille déjà sur un second disque : « Reggatta de blanc »

Deuxième album du groupe, sorti à la fin de l’année 1979, il est considéré par beaucoup comme leur meilleur album. Cela vient probablement du fait qu’il inclut deux des plus grands tubes du groupes, dont sa chanson la plus célèbre : « Message in a bottle ». L’autre tube magistral est « Walking on the moon ». Parmi les très grandes réussites du disque on peut ajouter « Bring On The Night » et « The Bed’s Too Big Without You ». Que dire du reste ?

« Reggatta de Blanc », la chanson titre a un goût d’inachevé. Ils se sont pourtant mis à trois pour l’écrire (un cas assez rare dans la carrière du groupe et qui ne s’est d’ailleurs plus jamais reproduit sur les trois albums suivants). On dirait une longue (et excellente) intro d’une chanson qui n’arrive jamais. C’est un instrumental, sauf si on considère que « hi-yo, hi-hey, hi-hey-yo » sont des paroles. « It’s Alright for You » est une chanson sympa mais assez banale, encore un peu marquée par les origines punk du groupe dans la simplicité de sa construction et dans son énergie. « Deathwish » clôt la première face. Autre chanson agréable quoique un peu répétitive. Sur la deuxième face, Stewart Copland nous gratifie de rien moins que trois chansons. Avec les trois qu’il a cosignées sur la face 1, cela fait de cet album celui où sa participation a été, de loin, la plus prolifique. Sur ces trois chansons, malheureusement, seule « Contact » présente un certain intérêt. « On Any Other Day » et « Does Everyone Stare » sont tout à fait dispensables.

L’album souffre donc d’un déséquilibre assez sensible entre sa première moitié très puissante, et sa face B, qui ne comporte finalement que 2 très bons titres sur 6 (« Walking on the moon » et « Bed’s too big without you »), d’ailleurs plutôt situés au début de la face, ce qui renforce l’impression de remplissage avec les trois derniers titres beaucoup plus faibles.

Concerts « sold out ». En cette fin d’année 1979 Police est bien lancé vers la gloire. Notez le prix des places : 3 livres !!!!!

Un mot sur le titre du disque : comme pour l’album précédent, il mêle du français à une sorte de néologisme italianisant ou espagnolisant. « Reggatta » évoque évidemment le reggae, très présent sur cet album (comme sur le précédent), bien que ce soit dans des formes pas toujours très conventionnelles. A l’époque commence à se populariser l’expression de « reggae blanc » pour définir ce style musical. Pourquoi « de blanc » en français (et pourquoi « d’amour » dans le titre du premier album) ? Je ne sais pas avec certitude mais disons que Sting parle extrêmement bien français (chose rare pour un anglais) et que, d’autre part, la langue française a toujours eu un côté « chic », « rafiné » pour les anglo-saxons.

Un coffret regroupant les deux premiers albums, avec une amusante faute dans le titre du second, qui tout à coup sonne beaucoup moins français et plutôt italien.

Même sentiment de remplissage avec l’album de 1980 « Zenyattà Mondatta ».

Un première moitié percutante, avec deux grandes chansons pour débuter, « Don’t Stand So Close to Me »et « Driven to Tears ». Deux autres titres agréables sur cette face, « Canary in a Coalmine », chanson à la rythmique rebondissante, qui se laisse écouter sans être un chef d’œuvre, et « Voices Inside My Head », qui semble presque une récidive de la chanson « Ragatta de blanc » en un peu moins bien (ce qui n’empêche pas le groupe d’ouvrir fréquemment ses concerts avec elle au cours des tournées de 1981 et 1982). « When the World Is Running Down, You Make the Best of What’s Still Around  » a pour seul intérêt d’être la chanson de Police portant le titre le plus long de toute leur carrière. La face se termine par « Bombs away ». Nouvelle tentative de Copland sans intérêt, de même d’ailleurs que la dernière chanson de la seconde face. De là à penser que lorsque Sting a épuisé ses cartouches, Copland fournit des bouche-trous…?

Sur la seconde face, un autre bouche-trou (celui-là d’Andy Summers), surprend par sa qualité. Il s’agit de l’instrumental « Behind my camel », à mon sens le meilleur de tous les instrumentaux du groupe. Très différents du style habituel de police même si la patte « Copland/Sting » à la rythmique est définitivement présente. « De Do Do Do, De Da Da Da » est un tube mineur (refrain assez répétitif qui vous entre dans le cerveau que vous le vouliez ou non) et qui sauve cette face du néant, sachant que les trois dernières chansons sont vraiment médiocres. Pour beaucoup (y compris des fans hard-core de Police, ce troisième album est le plus faible du groupe. On peut aussi lui reprocher d’innover assez peu par rapport aux deux précédent.


En ce qui concerne l’innovation, le quatrième album, « Ghost in the machine », sorti en 1981, corrige le tir avec l’utilisation marquée du synthétiseur, l’introduction de saxophones, une production plus sophistiquée et certaines compositions plus complexes. Un disque très différent des trois précédents. Sauf dans un domaine : un déséquilibre patent entre la première face – excellente – et la seconde, à la limite de l’indigence.

La première face est presque un sans-faute. Les trois meilleurs titres pour débuter : « Spirits in the Material World », « Every Little Thing She Does Is Magic » et « Invisible Sun »; trois chansons qui seront d’ailleurs les trois hits radiophoniques de l’album. La face se clôt avec le génial « Demolition man », une des plus longues chansons de Police, avec ses presque six minutes, une des plus endiablées aussi. Elle rappelle un peu « Masoko Tanga », qui clôturait le premier album. « Hungry for You (J’aurais Toujours Faim de Toi) » – notez de nouveau l’utilisation du français – est une honnête chanson qui ne casse pas trois pattes à un canard mais se laisse gentiment écouter.

Désormais des superstars qui jouent dans les stades.

La face deux propose une chanson d’Andy Summers (« Omegaman ») qui est la plus violente du disque est qui est certainement la meilleure chose de cette face. On trouve aussi deux chansons de Copland (dont une cosignée avec Sting) qui ne présentent guère d’intérêt : « Rehumanize Yourself » et « Darkness ». « One World (Not Three) », composition de Sting est correcte. On ne peut pas en dire autant de « Too Much Information ». « Secret Journey », enfin, est une sorte de sous-« Invisible sun », qui a d’ailleurs été choisie comme single aux États-Unis à la place d’Invisble sun », mais qui n’a pas cartonné autant. Agréable sans plus.

Une dernière qualité de cet album réside dans sa pochette, l’une des plus belles de leur carrière (ex-aequo avec celle de « Zenyattà Mondatta »), mais le groupe ne semble jamais avoir accordé une extrême importance à cet aspect de sa production. De même, ses clips sont d’une pauvreté affligente : le groupe se contente souvent de mimer (assez mal) les chansons en déambulant dans des décors urbains. Et pourtant la VHS et le DVD des clips de Police a cartonné dans les ventes… que dire ? Mieux vaut ne pas approfondir. Pour ceux qui en doutent, on peut visionner l’un de ces clips ici – pas le pire.

Il faut attendre presque deux ans avant la sortie de « Synchronicity », en 1983, qui sera leur dernier album. C’est aussi un album vraiment différent des précédents (quoique « Ghost in the machine » avait préparé un peu ce tournant) : plus long, plus varié, plus ambitieux et, pour tout dire, par moment c’est déjà un album de Sting en solo.

L’album possède de nombreuses pépites, ce qui peut donner le sentiment d’un très grand disque (pas moins de quatre singles en sont extraits et deviennent des hits radio). De plus, la production encore plus léchée que sur « Ghost » impressionne l’auditeur (il faut dire que ce disque est le premier sorti par Police en CD en même temps que la version vinyle, il fallait donc que les heureux (et rares) possesseurs de lecteur CD puissent en avoir pour leur argent.

Le diptyque Synchronicity I et II est littéralement fracassant. La première partie fait fort. La seconde (en clôture de face) fait encore plus fort. Deux des meilleures chansons de Police tous albums confondus. En plus Sting y chante extraordinairement bien. Deux slows imparables : « Every Breathe you take » et « Wrapped Around Your Finger ». Usés jusqu’à la corde par les radios. « King of pain » est une belle chanson, quoique un poil trop répétitive. Un tube malgré tout.

L’habituelle composition d’Andy Summers », « Mother », est probablement le morceau le plus violent jamais publié par Police; Il est très original et finalement assez intéressant, revenant pour la dernière fois aux origines punk du groupe. La seul contribution de Copland, « Miss Gradenko », est un peu moins mauvaise que ses dernières tentatives, sans non plus être un grand moment du disque. Le refrain est assez sympa. « oh my God » est le seul morceau reggae et le seul qui rappelle vraiment les premiers albums. Agréable sans plus. « Tea in the Sahara » : agréable chanson d’ambiance, annonce certaines productions solo de Sting. S’il y a finalement quelques passages un peu plus faibles sur ce disque, il n’y a rien de vraiment à jeter, ce qui est une première et qui justifierait de faire de cet album le meilleur de l’histoire du groupe. C’est d’ailleurs, selon les sondages, l’album de Police le plus populaire auprès du public.

Police en concert le 19 février 1984 à Rosemont, Illinois. A ceux qui s’étonneraient des biceps saillants du chanteur, l’explication est simple : il vient de tourner dans Dune, de David Lynch, où il interprétait Feyd Harkonnen, une brute assassine, un rôle qui a nécessité quelques séances de gonflette.

Personnellement, j’ai une légère préférence pour leur premier album, « Outlandos d’Amour ». Quels sont ses points forts ?
Presque toutes les chansons sont bonnes. Je laisserai de côté « Be my girl – Sally », vraiment trop répétitive et avec son long interlude parlé sans grand intérêt musical, ainsi que « Next to you », morceau très punk, qui rend mieux sur scène. La dernière chanson de la première face, « Peanuts », dans le même genre que « Next to you », est un peu mieux construite avec un excellent solo de guitare. Ceci mis à part, tout est bon dans ce cochon de disque, et certains titres sont même des chefs d’oeuvres : « So lonely », « Roxanne », « Can’t Stand Losing You » (tous des hits qui ont cartonné) mais aussi les moins connus « Hole in my life », très jazzy, « Truth Hits Everybody » et « Born in the 50’s », très rocks tous les deux, ou encore l’étonnant « Masoko Tanga », très riche musicalement.

Le bâtiment (une ancienne laiterie de Leatherhead, dans le Surrey) où se trouvait le très artisanal « Surrey sound studio ». C’est là que furent enregistrés les deux premiers albums du groupe en utilisant les créneaux nocturnes pour payer moins cher. L’édifice est devenu un magasin d’articles de sport.

« Outlandos d’amour » a une qualité supplémentaire : contrairement au très léché « Synchronicity » il est plutôt brut dans sa production et contient une énergie séminale qui manque aux derniers albums. Le groupe est à ses débuts, plein d’énergie et d’enthousiasme, et tout cela se ressent.

Ah, une dernière piste pour comprendre le choix du mot « d’amour » dans le titre du disque. La chanson « Roxanne » a été écrit par Sting à Paris en octobre 1977 et a été inspirée par une promenade nocturne du chanteur dans le quartier de Pigalle, où il avait croisé de nombreuses prostituées et voulait leur rendre une sorte d’hommage.

2 Commentaires

  1. Thierry D.

    Bel article que tu nous livre là encore.
    Personnellement, les 2 meilleurs albums du groupe sont pour moi le 1er et le dernier. Le 1er pour son côté ‘brut de décoffrage’ et le dernier pour son côté ‘abouti’.
    Synchronicity est à The Police ce que ‘Californication’ est au Red Hot, un virage… totalement réussi dans les 2 cas. J’aurai aimé que sortent 2 ou 3 albums ensuite mais bon… on ne peut pas réécrire l’histoire…

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    1. ace (Auteur de l'article)

      Excellente conclusion à la laquelle je souscris à 100%.

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