C’est le second album sous le nom de Blue Öyster Cult. En 1969, un album avait été réalisé sous le nom de Soft White Underbelly, mais la maison de disque (Elektra) ne l’avait pas trouvé assez bon et l’avait mis au placard. Il est finalement ressorti en CD au début des années 2000. Entre temps, plusieurs des chansons qu’il comprenait avaient été réenregistrées et améliorées pour trouver place sur les albums des années 70.
En 1970, après cette première tentative avortée (et après deux changements de musiciens), le groupe, désormais composé de son quintet classique (Eric Bloom, guitare et chant, Donald Roeser, guitare solo et chant, Allen Lanier, Claviers et guitare, Joe Bouchard, Basse, et son frère Albert, batterie) adopte le nom de Stalk Forrest Group, et signe un contrat avec Columbia, qui lance le vrai début de sa carrière, même si, au dernier moment, le nom de Blue Oyster Cult est adopté au lieu de Stalk Forrest Group.
En 1971, le premier album de BOC (sans titre) se fait remarquer par un tube construit sur un riff marquant (« Cities on flame with rock’n’roll »), qui n’est pas sans rappeler la chanson « The Wizard », sur le premier album de Black Sabbath, paru un an plus tôt. Blue Öyster Cult a toujours revendiqué l’influence de Black Sabbath, à qui il a emprunté sa capacité à jouer une musique très lourde. Mais, à cette lourdeur, BOC a ajouté la sophistication, les changements de rythmes et les envolées, des caractéristiques peu usitées par leur modèle.
Parmi leurs autres sources d’inspiration avouées, on peut citer Steppenwolf, MC5 (deux groupes dont Blue Öyster Cult a repris respectivement les chansons « Born to be wild » et « Kick out the jams »), Led Zeppelin et également les Doors, dont ils ont interprété sur scène la chanson « Roadhouse Blues » durant toutes les années 80, parfois même avec Robbie Krieger (guitariste des Doors) en guest star.
Leur premier album de Blue öyster Cult se caractérisait par un son assez particulier, sorte de hard rock à la sonorité mate et sèche, frisant parfois le jazz, comme sur la chanson « Before the kiss, a Redcap ». L’autre particularité remarquable était les titres ésotériques des chansons : « Transmaniacon MC », « I’m on the lamb but I ain’t no sheep », « She’s As Beautiful As A Foot », ou encore le nom du groupe lui-même : la « Secte de l’huître bleue », puisque c’est ce que signifie « Blue Öyster Cult ». Mais le plus intéressant était encore ses compositions complexes et léchées. L’album est d’emblée apprécié par la critique. Lester Bang écrit dans la revue Rolling Stones : « Un album à ne pas manquer », et Robert Christgau en parle dans le Village Voice comme du meilleur album de Hard Rock depuis le « Who’s Next » des Who. Le public accroche également, surtout grâce aux performances live lors desquelles, en première partie de pointures comme Black Sabbath, Mahavishnu Orchestra ou Alice Coopper, BOC parvient à mettre l’audience en transe.
L’essai est transformé deux ans plus tard grâce à l’album Tyranny and Mutation. Le son s’est durci ; le style s’affirme tout en restant dans le même registre. Le disque est plus cohérent, avec des morceaux qui s’enchaînent mieux et, surtout, qui ne comprennent plus le moindre point faible. De la première note – un mur de guitares électriques qui égrène une gamme comme un compte à rebours – jusqu’aux dernières sonorités de synthétiseur qui s’évanouissent dans le lointain à la fin de l’ultime chanson, le disque vous secoue, vous emporte et vous retourne dans tous les sens.
Comme pour le premier album, la pochette représente une sorte de décor de science fiction en dessin, à la limite de l’illusion d’optique. On y voit apparaître le sigle du groupe, une sorte de hiéroglyphe s’inspirant du signe de Chronos. Cette croix accompagnée d’un crochet est également le symbole alchimique du plomb, une référence évidente à la lourdeur de leur musique. Le symbole se retrouvera sur toutes les pochettes de disque, souvent dissimulé, comme un jeu de piste pour les fans (une pratique plus tard imitée par Iron Maiden).
Certains y ont même vu une sorte de symbole secret néo nazi, alimentant une rumeur tenace avec laquelle le groupe a parfois joué un peu. La rumeur se base sur le fait que le groupe porte le nom d’une secte et elle prétend que derrière les titres incompréhensibles des chansons (« Seven screaming diz-busters », « Mistress of the Salmon Salt ») se dissimuleraient des idées malsaines. On parle d’influence nietzschéenne à propos de la chanson « The subhuman », sur le troisième album. Le Messerschmitt allemand et les Dobermans figurant sur la pochette de ce disque, ou bien la chanson ME262, dans laquelle on entend des bruits de sirènes et de bombardements, sont interprétés par certains comme une apologie du troisième Reich et de la Seconde Guerre mondiale ; le tréma sur le « O » de Öyster (qui sera souvent imité, par exemple par Motörhead ou Mötley Crue) est vu comme une influence allemande. En réalité, c’est le grand n’importe quoi, surtout quand on sait que Sandy Pearlman, producteur et mentor du groupe, est juif, de même que plusieurs membres du groupe ou de son entourage. Mais celui-ci laisse faire cette publicité gratuite, du moins durant les premières années. Plus tard, certaines mises au point seront faites et la rumeur se dissipera.
En attendant, l’album Tyranny and Mutation offre bien d’autres attraits que ces pseudo allusions cryptiques.
Il s’ouvre par une chanson au tempo trépidant, « The red and the Black ». C’est une histoire de poursuite (d’un fugitif aux trousses duquel sont lancés des membres de la police montée canadienne). Il s’agit en fait de la troisième version d’une chanson enregistrée d’abord en 1969, puis réenregistrée en 1971 sous le titre « I’m on the lamb but I ain’t no sheep » et publiée sur le premier album. Mais la version de l’album Tyranny and Mutation est bien plus rapide et bien plus hard que les versions antérieures, devenant ainsi à peu près méconnaissable et beaucoup plus puissante.
Elle est suivie d’ « O.D.’d on life itself », rock assez classique, mais qui démontre que Blue Öyster Cult est capable d’autre chose que de jouer vite et fort, et en particulier de trousser des chansons au refrain imparable.
Suit une chanson taillée pour la scène (« Hot rails to hail »), fortement inspirée par le style MC5 et, à vrai dire, un peut répétitive dans sa version studio. Sans doute le moins bon morceau du disque. Heureusement, juste après vient le meilleur titre : « Seven screaming diz-busters ». Un rythme en 7/8, assez inhabituel dans le hard rock, de multiples changements de tempo, des passages presque psychédéliques… Ce morceau en apparence inadaptable en live devient pourtant l’un des principaux chevaux de bataille des concerts du groupe. Pour la première fois, les cinq musiciens adoptent une pratique consistant à jouer la partie centrale du morceau à cinq guitares (dont une basse) ; le claviériste et le batteur abandonnent leurs instruments, empoignent une guitare et rejoignent les trois autres sur le devant de la scène et les soli s’enchaînent comme dans le morceau « The End » des Beatles. Cette improvisation scénique intitulée « Five Guitars » sera jouée durant tous les concerts du groupe jusqu’au milieu des années 80.
Après avoir constitué une sorte de chorus au milieu de la chanson « Seven Screaming diz-busters », « Five guitars » viendra s’intercaler au milieu de « ME262 » à partir de 1974 et enfin sur « This ain’t the summer of love » après 1976.
Ainsi s’achève la première face de l’album « Tyranny and Mutation », face intitulée « The Black », les titres étant écrits en noir sur fond rouge sur l’étiquette centrale du disque vinyle. La face rouge (« The Red », aux couleurs inversées) commence par la chanson « Baby Ice dog », cosignée avec Patti Smith, la compagne du claviériste Allen Lanier.
Le titre suivant, « Wings wetted down », est un de ces bijoux mélodiques dont BOC a parsemé ses disques tout au long de sa carrière : une mélodie douce et envoûtante qui aurait probablement eu le potentiel d’un single.
Après cet intermède de quiétude, « Teen Archer » relance la machine à vitesse maximum et fait une fois de plus dans la virtuosité technique.
Le disque s’achève par la magnifique « Mistress of the Salmon Salt », une nouvelle fois adaptée d’un poème de Sandy Pearlman, le producteur et mentor du groupe. Toutes les chansons de la première face sauf « Hot rails to hell » sont également basées sur des textes de Pearlman.
Sandy Pearlman et les autres membres du groupe se sont rencontrés sur le campus de l’université de Long Island, où il étudiait l’épistémologie, l’anthropologie et la sociologie, tout en écrivant des poèmes et en se passionnant pour la musique. La plupart des membres du groupe sont issus du circuit universitaire, ce qui explique leur approche plus intellectuelle du rock que les groupes de hard rock contemporains. Le résultat est visible dans les paroles souvent hermétiques – mais pleines de trouvailles et d’humour au second degré – et dans la complexité de la musique, qui ne se contente jamais d’enchaîner des riffs binaires. Les riffs, B.O.C. en pond certes à la pelle, mais ils ne sont jamais plus qu’un point de départ avant des digressions toujours surprenantes qui rendent parfois leur musique difficile d’approche.
Personnellement, j’ai découvert le groupe en empruntant par hasard trois de ses disques (les deux premiers albums, ainsi que le quatrième, « Agents of fortune », datant de 1976) à la médiathèque de La Courneuve, où j’habitais à l’époque. C’était en 1985. J’avais enregistré les trois disques bout à bout sur une vielle cassette C-90 que j’écoutais dans mon walkman. Ce n’est qu’au bout de la troisième ou quatrième écoute que les morceaux ont vraiment commencé à me rentrer dans la tête. Depuis cette époque, ils n’en sont plus jamais sortis et Blue Öyster Cult est devenu l’un de mes groupes préférés.