Avalon est le huitième et dernier album de Roxy Music (si l’on fait exception des live, compilations et autres collections d’inédits sortis depuis la mise en sommeil du groupe).
Sorti en 1982, il a la particularité d’être l’album le plus commercial – et de loin – jamais publié par Roxy Music, ce qui lui a permis d’atteindre la première place dans les classements anglais et de devenir aux États-Unis le seul album du groupe à obtenir les certifications disque d’or, puis disque de platine, ainsi que nous le rappelle Wikipedia. Mais commercial ne signifie pas facile. C’est également un album très ambitieux.
Le public n’est pas le seul à l’avoir aimé ; il a aussi reçu de très bonnes critiques de la presse spécialisée, notamment un rarissime 5 étoiles de la part de « AllMusic ». Dans son classement des 500 plus grands disques de tous les temps, réalisé en 2003, le magazine Rolling Stone classait Avalon en 307ème position.
Je ne me suis pas encore amusé à réaliser mon classement personnel – surtout qu’il changerait probablement tous les jours – mais je crois qu’Avalon fait partie de la dizaine de disque que j’écoute le plus souvent. J’estime l’écouter une bonne demi-douzaine de fois par an (depuis sa sortie il y a 33 ans). C’est aussi l’un des rares disques que j’écoute d’un bout à l’autre, sans sauter de piste.
Pourtant, Avalon est aussi – et de loin également – le disque le moins original de Roxy Music. La musique y est parfaitement léchée, le son est d’une pureté cristaline, les rythmes sont suaves : rien qui puisse agresser l’auditeur, voire simplement le surprendre. C’est pourquoi ce disque n’est pas forcément apprécié des fans du Roxy Music de la première heure.
A sa fondation, le groupe était il est vrai assez excentrique. Il s’inscrivait, au moins visuellement, dans la mouvance du glam rock, mais se distinguait déjà de ce sous-genre par une sophistication qui ne s’est jamais démentie et, surtout, par des audaces sonores en grandes partie redevables à la présence de Brian Eno dans ses rangs. Quant à l’apparence des musiciens, elle avait alors de quoi interpeller les plus basés des amateurs de rock, avec ses plumes, son strass et ses froufrous, ainsi que, déjà, le costume blanc de crooner de Bryan Ferry, le leader et fondateur du groupe. Le projet du groupe peut être alors défini comme un équivalent musical de ce qu’Andy Warhol était aux arts plastiques : une relecture ironique – mais non dénuée de sentiments – des grandes mythologies et des poncifs du rock.
Les deux premiers albums étaient encore très marquée par le psychédélisme, qui imprégnait les passages instrumentaux de nombreuses chansons (« If There Is Something », « Sea Breezes », « Beauty Queen » ou « For Your Pleasure ») en particulier dans les solo d’Andy Mackay (le saxophoniste) ou de Brian Eno (le claviériste). La musique faisait alterner des passages extrêmement doux et planants, presque méditatifs, avec des brusques éruptions électriques, des crescendo répétitifs et de soudain retours au calme, le tout enrobé par la voix profonde de Ferry. Rares étaient les compositions conventionnelles. Et lorsqu’elles l’étaient, comme « Pyjamarama » ou « Virginia PLain » (deux titres taillés pour faire des singles), leurs paroles étaient assez originales.
Après le départ de Brian Eno, il est indéniable qu’une part de l’originalité du groupe a disparu. Les fans purs et durs considèrent d’ailleurs que la période la plus intéressante du groupe s’achève à ce moment-là. Toutefois, grâce à l’apport d’Eddie Jobson, recruté pour tenir les synthétiseurs et jouer du violon, Roxy Music réussit sur ses deux albums suivants à conserver une part de son excitante excentricité, même si les chansons romantiques et assez classiques de Bryan Ferry deviennent plus nombreuses (« Just like you », « Psalm », « A song for Europe », « Three and nine »).
En 1975, « Siren », le cinquième album, déçoit un peu par son côté assez commercial, malgré un titre très funky en ouverture (« Love is a drug ») et quelques très belles compositions (« Both Ends Burning », « Nightingale » ou « Sentimental Fool »). Le groupe se sépare. Bryan Ferry tente une carrière solo.
Il faut attendre quatre ans pour que Roxy Music se reforme, avec les musiciens des deux premiers albums, moins Brian Eno. Ce deuxième Roxy Music n’a plus grand chose à voir avec celui de la première moitié des années 70. Avec l’album « Manifesto », publié en 1979, Roxy Music entre de plain pied, et avec un an d’avance, dans les années 80. Le groupe a alors adopté un style que Michka Assayas qualifie avec condescendance de « disco-soul radiophonique » dans son dictionnaire du rock, tandis que Jean-Marie Leduc parle dans « Le Rock de A à Z » de « Pop songs dansantes empruntes d’influences funk et soul ».
La musique est en effet devenue presque épurée, totalement dénuée des saturations et autres distorsions des premiers albums, très éloignée également des influences psychédéliques du début. Bryan Ferry a beaucoup progressé au chant. Il ne masque plus ses limites par un recours à des vocalises forcées ou à des pastiches du rock’n’roll. Sa voix se met totalement au service de la musique, qui garde d’ailleurs une part prépondérante dans la plupart des morceaux.
Si certaines mélodies sont tellement évidentes qu’elles peuvent parfois en devenir lassantes, comme celles des chansons « More Than This » ou « Take a chance with me », d’autres sont beaucoup plus subtiles et possèdent une force d’envoutement d’autant plus forte qu’elle met un certain temps à agir. C’est le cas des trois morceaux de la fin de l’album, « To Turn you on », « True to Life » et l’instrumental « Tara », mais aussi de la chanson titre « Avalon » ou du sublime « While My Heart Is Still Beating ». « The Main thing » est le morceau le plus rock du disque. Son intro – surtout dans la version extended du maxi 45 tour (disponible sur le coffet « The thrill of it all ») – est à la fois très dansante et presque hypnotique. Un autre instrumental, « India » est composé essentiellement de percussions et de synthétiseur. Il servira d’introduction à tous les concerts de la tournée suivante. Le seul morceau un peu plus faible du disque est « The space between », un peu trop convenu et un peu trop répétitif.
Plus que les mélodies, ce sont les ambiances qui donnent sa richesse à ce disque et qui le distingue fondamentalement des deux albums précédents. Trop de critique ont fait d’Avalon le troisième volet d’une trilogie commencée avec « Manifesto » (1979) et poursuivie avec « Flesh + Blood » (1980). Si les trois disques ont des points communs dans le style et les sonorités, seul le dernier des trois joue vraiment avec les tessitures instrumentales pour composer un paysage auditif profond, langoureux et incitant à la méditation. A ce titre, l’introduction de « Take a chance with me » ou bien les deux morceaux instrumentaux sont des passages d’une beauté exceptionnelle et suffiraient à eux seuls à justifier l’écoute de cet album. Notons à ce propos que Tara, l’ultime morceau, évoque beaucoup la chanson « See Breazes », sur le premier album : même bruit de vague, même son de clarinette légèrement en arrière plan, même ambiance de désolation. Une manière de boucler la boucle ?