Pink Floyd s’est déjà acquis une certaine notoriété lorsqu’il publie ce premier album, en 1967. Le groupe n’est alors pourtant pas très ancien. Sous ce nom de Pink Floyd, il n’a qu’un an d’existence. Auparavant, les quatre jeunes étudiants originaires de Londres et de Cambridge, Syd Barrett, Roger Waters, Nick Mason et Richard Wright, se sont produits dans de petites salles sous diverses appellations, notamment The Architectural Abdabs (un nom qui s’explique peut-être par le fait que plusieurs d’entre eux étudient à l’école polytechnique) ou the Tea Set. Peu à peu, ils commencent à trouver leurs marques, s’écartant du blues qu’ils jouaient initialement, mais adoptant cependant un nom inspiré de deux obscurs bluesmen : Pink Anderson et Floyd Council.
A l’époque, un nouveau style musical est en train d’émerger, le « psychédélisme ». Les maisons de disque sont prêtes à signer le moindre groupe un tant soit peu prometteur qui leur permettra de surfer sur cette mode. Les prestations scéniques de Pink Floyd – notamment une série de concert au très en vogue UFO Club de Londres – où ils interprètent leurs chansons psychédéliques commencent à rencontrer un tel succès que la grande firme discographique E.M.I. entend parler d’eux et les signe.
Leurs deux premiers simples marchent bien même si – ou peut-être bien grâce à cela – ils sont interdits de radio. La chanson « Arnold Layne » raconte en effet l’histoire (inspirée de faits authentiques) d’un jeune homme qui vole des sous-vêtements féminins séchant sur les cordes à linge. C’est « Shocking » à l’époque pour la BBC!
Le succès de ces 45 tours autorise Pink Floyd à se lancer dans la réalisation d’un album. Celui-ci sort en 1967 sous le titre de « The Piper at the gates of dawn ». Ce titre étrange provient d’un classique de la littérature pour enfant écrit en 1908 par le romancier écossais Kenneth Grahame et intitulé The Wind in the Willows. Ce livre, qui raconte les aventures d’une série d’animaux doués de la paroles et qui n’est pas sans évoquer parfois Lewis Carroll a été une source d’inspiration, au moins au niveau de l’ambiance, pour les paroles de certaines chansons du disque.
Ce premier album de Pink Floyd est en majeure partie composé par Syd Barrett. Il ne comporte aucune reprise, mais uniquement des compositions du groupe, ce qui est plutôt rare à l’époque pour un premier album.
1967 est une année prolifique puisque des groupes aussi importants que les Doors, le Velvet Underground, Creedence Clearwater Revival, les Moody Blues, Procol Harum ou The Jimi Hendrix Experience sortent également leur premier album. N’oublions pas également que des groupes bien établis sortent cette même année des albums majeurs, tels le « Sgt Pepper’s » des Beatles, le « Sell Out » des Who ou le « Disraeli Gears » de Cream. Malgré une telle concurrence,le disque de Pink Floyd va s’affirmer comme une œuvre essentielle et un succès commercial.
En effet, « The Piper at the gates of dawn » est un album dont l’impact musical et le caractère novateur sont très importants. Il est considéré comme l’un des tous meilleurs disques psychédéliques de l’histoire du rock (à la hauteur du « Are you experienced », de Hendrix ou du premier album des Doors).
Ce mouvement musical influencé par l’usage de drogues diverses (L.S.D., acides, amphétamines ou marijuana) ambitionnait de retranscrire musicalement les effets psychotropes produits par les substances ingérées ou inhalées, un peu comme l’écrivain Aldous Huxley avait tenté de décrire les effets de la mescaline dans son livre « The Doors of perception » (livre qui, soit dit en passant, avait d’ailleurs inspiré leur nom aux « Doors »).
Les Pink Floyd en plein flagrant délit de psychédélisme
The Piper at the gates of dawn est donc extrêmement représentatif de cette époque et les 11 morceaux qui le composent offrent un parfait panorama des différentes approches du psychédélisme dans le rock :
« Astronomy domine » est dans la veine du rock spatial (space rock). Des paroles de science-fiction et une ambiance Nasa suggèrent le décollage mental résultant de l’absorption de quelques substances prohibées. Il est à noter que ce morceau est le plus planant du disque et qu’il est le seul pouvant laisser présager ce que deviendra Pink Floyd dans les années 70. C’est d’ailleurs le seul morceau de cet album que le groupe continuera à jouer sur scène au cours des années suivantes, jusqu’à la dernière tournée, en 1994, où il figurera de nouveau dans la set list.
« Lucifer Sam », le deuxième titre, est d’une structure plus classique, mais une écoute au casque révèle les incroyables jeux sur la stéréophonie qui parviennent littéralement à donner le tournis à l’auditeur.
« Matilda mother » introduit des sonorités et des instruments orientaux, pratique très à la mode chez les Beatles, les Rolling Stones ou Donovan, et d’une manière générale, parmi tous les groupes psychédéliques ou hippies de l’époque. La chanson « Chapter 24 » est dans le même esprit.
« Pow R. Toc H. », avec son titre énigmatique, est l’un des morceaux les plus intriguant du disque et l’un des deux seuls cosignés par les quatre membres. Après une introduction basée sur des sonorités étranges et inquiétantes, le morceau bascule d’abord dans une sorte de jazz, avant de s’achever en un délire sonore complètement déconstruit.
« Take up thy stethoscope and walk », la seule chanson signée par Roger Waters, le futur leader du groupe, est un morceau très rock qui permet au groupe de faire étalage de sa maîtrise instrumentale, ainsi qu’en témoigne l’impressionnant double-solo de guitare et d’orgue entremêlés qui occupe une bonne moitié du titre. Il est représentatif du courant « Acid rock », de même que la longue pièce instrumentale « Interstellar Overdrive » qui ouvre la seconde face du disque et qui sera l’un des chevaux de bataille du groupe sur scène durant l’année 1967.
« The Gnome » et « Bike » sont des morceaux plus légers, proches de l’esprit « Rock bubble gum » à ceci près que les paroles se caractérisent par une profondeur, une poésie et un humour typiquement britannique qui leur confèrent un charme indéniable. En plus, Bike s’achève par un kaelidoscope de bruitages qui clôt l’album et qui est un véritable manifeste du psychédélisme.
A peine l’album mis en vente, Pink Floyd connaît sa première crise. Syd Barrett, leader incontestable du groupe, commence à perdre la raison sous l’effet des quantités massives de LSD qu’il absorbe. Il arrive qu’il « oublie » de venir jouer à un concert, ou bien qu’il s’arrête de jouer en plein milieu d’un morceau, pour rester ensuite prostré sur scène pendant un quart d’heure. Comme il est à la fois guitariste et chanteur, cela rend difficile aux trois autres de faire comme si de rien n’était. Ils engagent donc un ami de longue date, David Gilmour, pour seconder Barrett durant les concerts. L’état de ce dernier allant en s’aggravant, Gilmour devient membre complet du groupe, qui devient donc un quintet durant une brève période. Quelques semaines plus tard, Barrett quitte complètement le groupe (il en est en fait exclu par les autres, pour qui il est devenu un boulet). Il sortira deux albums solos assez pathétiques mais laissant entrevoir quelques ébauches géniales puis il disparaîtra presque totalement de la circulation pendant des années, devenant une sorte de fantôme hantant les quatre autres musiciens.
L’une des rares photographies de Pink Floyd à cinq membres. Mais Syd Barrett semble déjà ailleurs.
Pour tous les amateurs du Pink Floyd psychédélique, le départ de Barrett au début de l’année 1968 signifie clairement la mort du groupe. Ce n’est cependant pas l’avis des quatre membres restants : ils se mettent à élaborer un second album, qui sortira en juin 1968 sous le titre de « A saucerful of secrets » et qui marquera un tournant considérable dans le style et dans la carrière du groupe.
Ceux qui ne connaissent de Pink Floyd que « The Dark Side of The moon », « Wish you were here » ou « The Wall », seront bien en peine de trouver dans « The piper at the gates of dawn » le moindre élément précurseur des chefs d’œuvres des années 70, tant celui-ci est d’abord l’œuvre de Syd Barrett.
Ce disque unique mérite cependant son statut de monument du rock. Sa récente réédition en un coffret de trois CD, à l’occasion du quarantième anniversaire de sa sortie, témoigne de son importance et est une vraie réussite tant au niveau du packaging, que du remastering ou des bonus. Ces derniers permettent pour la première fois de disposer des face B des premiers 45 tours du groupe avec un son digne de ce nom.